Le Cochon de Gaza

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Le conflit israélo-palestinien dédramatisé et revisité par le récit des péripéties d’un pêcheur palestinien en prise avec un cochon envahissant : jouissif.

Sylvain Estibal aime le goût de l’ailleurs. Ecrivain, on l’avait remarqué pour ses entretiens avec Théodore Monod ou son Dernier Vol de Lancaster qui avait d’ailleurs été adapté au cinéma fin 2009. Il revient ici à la réalisation avec ce film en terre de Gaza narrant les tribulations d’un pêcheur soucieux de se débarrasser d’un cochon malencontrueusement débarqué dans sa vie. Bête noire tant pour les palestiniens que les israéliens, ce cochon devient prétexte à montrer l’absurdité des deux camps dans leur persévérance à se croire si différents, alors que la même humanité les rapproche. Ce film se veut fidèle au réel mais dénote une fantaisie exagérée propre au conte. Jafaar (Sasson Gabay) y figure tel un Chaplin de l’Orient burlesque et savoureux. Enfin, Le Cochon de Gaza exprime un message de paix et d’espoir pour la réunion des peuples, indéniable revendication du réalisateur, qui oscille entre poésie et réalité sans jamais juger ou pencher en faveur d’un camp ou de l’autre. Démonstration d’un exercice de style…

Le réalisateur a choisi Malte pour accueillir sa vision de la division qui règne à Gaza. Dès les premières scènes, le ton est donné : Jafaar est misérable, il ne pêche rien que des tongs, tandis qu’au marché, il s’efforce de faire bonne figure face à une clientèle riche et exigeante, tout comme à la maison, où sa femme l’interroge sur ses prises. Sur le toit, la police veille, tantôt assoupie, tantôt osant un commentaire sur la série brésilienne diffusée à la tv. Puis, le cochon apparaît : pêché, renié, accepté tant bien que mal, puis logé dans la baignoire, il va à son insu être l’objet d’un rapprochement des peuples, entre Jafaar, soucieux de s’en débarrasser, et Yelena qui, dans le camp israélien, a trouvé là un moyen de faire en douce son petit commerce. La récolte du sperme de cette bête impure va alors réunir les camps. Audacieux, certes ! On voit cette cohabitation, habituellement retranscrite dans le drame, ici pétrie d’humour : le déguisement du cochon en mouton pour faire passer la pilule aux autorités israéliennes en est un bon exemple.

Le Cochon de Gaza prend ainsi parfois des allures de fable. Un cochon pris dans un filet en pleine mer, puis travesti ou encore affublé de chaussettes, au sperme récolté grâce à un placardage de posters de Peggy la Cochonne : il est clair que le réalisateur s’amuse et que son film prend des chemins éloignés de la réalité. Quant au héros, il navigue comme un pantin un peu déboussolé, personnage comique sans s’en rendre compte, interrogeant craintivement Dieu et le ciel de ce malheur qui soudain s’abat sur lui comme le signe d’une quelconque faute à racheter. Sasson Gabay, déjà remarqué dans La Visite de la fanfare où il jouait un chef d’orchestre égyptien, n’aurait su trouver meilleur rôle pour exacerber son talent comique. Il endosse le rôle de Jafaar comme un enfant amusé et heureux de participer à un film faisant fi des frontières, préjugés et différences entre les peuples. Cela se voit : il sourit et plane, léger, à vélo sur cette terre où généralement tout pèse et est communément grave, contribuant ainsi à faire du Cochon de Gaza une bouffée d’oxygène et de rire sur cette terre qui en manque cruellement.

 

Réunion des peuples, démonstration de l’absurdité des camps dans leur entêtement à se jauger, ne vont pas sans un message d’espoir et de paix et donc sans l’introduction d’une poésie dans le film. Le réalisateur le dit lui-même : ce cochon de Gaza est une sorte de colombe de paix. On trouve ici un bémol : une fin un peu complexe où l’on sent bien la difficulté du réalisateur à ne pas vouloir clore son film sur l’exil, mais sur la communion et l’échange. Des longueurs s’en ressentent dans des paysages lunaires où les personnages fuient la police avant d’embarquer sur l’océan où une dispute entre Jafaar et Yelana montre combien les hommes restent prisonniers dans leur acquis, dans un lieu aussi restreint qu’une barque de fortune… C’est bien alors dans l’humour omniprésent de ce film qu’il faut chercher matière au rapprochement des peuples, dans ces menus détails anecdotiques et parfois absurdes qui montrent que les hommes, d’un côté comme de l’autre, vivent au final le même quotidien : boire une semance fortifiante, s’enthousiasmer pour les protagonistes d’une série tv brésilienne, ne pas souiller le sol d’un pas de cochon… Cette phrase de Fatima, la digne épouse de Jafaar, résume finalement à elle seule l’idée du film métaphorisée par ce cochon vietnamien : "Un cochon, c’est un cochon. Tous les mêmes, comme les hommes". Et oui, la condition humaine réunit les hommes, isréaliens ou palestiniens, qu’importe, le même destin nous lie : autant qu’il se trace avec rire et bonne humeur.

Titre original : When Pigs Have Wings

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Durée : 109 mn


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