« Bonsoooir ! ». A l’instar d’un générique langoureux et de cette voix traînante, venue d’une autre époque, le Ciné-Club de Frédéric Mitterrand a été de 1996 à 2006, sur France 2, un concentré de nostalgie. Comme si les œuvres qu‘il présentait, une fois par mois le mardi aux environs d’une heure du matin, n’existeraient plus. Alors même qu’il les faisait revivre le temps d’une soirée. La programmation est à la fois classique et éclectique. Ce qui n’est pas vraiment étonnant de la part d’un ancien directeur de trois salles de cinéma d’Art et Essai. De 1971 à 1986, Frédéric Mitterrand sera à la tête de l’Olympic Palace, de l’Entrepôt et de Olympic-Entrepôt, salles situées dans le XIVe arrondissement de Paris. En cinéphile averti, Frédéric Mitterrand consacre des cycles au cinéaste allemand Rainer Fassinder, à Agnès Varda et à Jacques Demy, ou se contente de choisir une œuvre. Il programme ainsi Flesh de Paul Morrissey en 1998. Mais il n’échappera pas à la censure. La Commission de classification des oeuvres du Centre national de la cinématographie (CNC) n’a pas levé l’interdiction aux moins de 16 ans qui pèse sur le long-métrage. Le film disparaîtra des grilles de programme.
Gardien d’un cinéma maltraité, quoique indispensable
Le Ciné-Club, c’est d’abord un laïus de quelques minutes sur le film à venir. Frédéric Mitterrand plante le décor avec sa voix si dépaysante. Les acteurs ont une couleur de cheveux, une allure qu’on ne leur verra souvent plus, selon le présentateur. L’instant sera donc unique. D’autant qu’il livre ensuite les dessous de la pellicule par le biais d’anecdotes et de citations. Les motifs et motivations du réalisateur sont ainsi mis à nu le temps d’une projection. Exceptionnellement, le cinéphile partage les pensées du cinéaste, avant de se plonger dans son œuvre. Présenter un film correspondait, pour l’actuel directeur de la Villa Médicis, à la retranscription d’une atmosphère et d’une époque, en somme aux circonstances de l’émergence de l’œuvre. La démarche semble aller de soi, car connaître le contexte d’une œuvre artistique reste déterminant pour l’aborder. Mais elle devient notable quand, dans la plupart des rares émissions consacrées aujourd’hui au cinéma, ce sont le nombre d’entrées, le succès critique et/ou populaire qui semblent primer sur l’analyse d’un film. Frédéric Mitterrand, lui, traite le film comme un tableau de grand maître : c’est le cheminement conduisant à sa production qui rend l’œuvre cinématographique unique, et lui confère la capacité de laisser son empreinte dans l’histoire.
Le Ciné-Club de Frédéric Mitterrand s’apparente à une époque révolue où le cinéma ne se résumait pas à ses stars, du moins visibles. Du réalisateur aux équipes techniques, en passant par les acteurs et les scénaristes, tout le générique avait droit de cité. Sous ses airs de clown triste, l’animateur-acteur-réalisateur-écrivain a transmis dans son émission sa nostalgie d’un certain cinéma, pourtant avant-gardiste et par conséquent très contemporain. Des regrets qui font écho à ceux exprimés dans son livre, Le Festival de Cannes, paru en 2007, à propos du festival éponyme. Frédéric Mitterrand aura été pendant une décennie le gardien de ces « longs métrages magnifiques [qui] sont à peine diffusés, même sur Arte, sous prétexte qu’ils ne sont désormais ni des fictions ni des documentaires, inclassables, donc le grand péché ». Au travers de la Petite lucarne, celui qui confiait justement sur la chaîne franco-allemande qu’il voyageait tous les soirs grâce aux films, a partagé son amour des horizons lointains du cinéma avec de courageux cinéphiles noctambules.
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