L’Argent (1928) de Marcel L’Herbier

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Marcel L’Herbier livre avec « L’Argent » l’un des films les plus élaborés de la dernière période du muet français, reparaissant aujourd’hui dans une édition collector des plus prestigieuses.

Réalisé en 1928, L’Argent sort à une époque où le cinéma est toujours considéré comme un art mineur. N’ayant pas encore acquis les lettres de noblesse qu’on lui connaît, le cinéma se présentait alors comme un succédané de la littérature ou du théâtre. Rares sont les réalisateurs français à avoir cru, à cette époque, pouvoir transformer le médium cinématographique en une force expressive autonome.

L’Argent est l’adaptation du roman éponyme d’Emile Zola. A l’encontre des idées en vogue du temps du muet, voire même jusque dans les années soixante, L’Herbier ne cherche pas à transposer la singularité du langage littéraire au sein même de l’expression filmique. Bien au contraire, L’Argent – comme l’indique son générique – s’efforce tout simplement de s’inspirer du livre dont il est issu. Il ne s’agit pas de faire correspondre le domaine littéraire avec le domaine cinématographique mais de réaliser un film parfaitement adapté aux besoins expressifs propres au cinéma. En définitive, L’Argent se présente moins comme le double filmique du roman de Zola que comme l’œuvre à part entière d’un cinéaste reconnu pour son avant-gardisme prononcé.

L’Herbier réduit le volumineux ouvrage de Zola à l’essentiel, à la seule structure de son récit. L’important pour le réalisateur – ce qui avec Abel Gance le diffère des surréalistes – consiste à tenir de bout en bout un fil conducteur narratif – en l’occurrence le roman de Zola – tout en explorant la terra incognita de l’expressivité cinématographique qui à cette époque reste à découvrir. Rien dans le film ne rappelle, à strictement parler, l’étude psychologique due au romancier : les dialogues fournis par les cartons n’ont d’autre valeur que d’expliquer les situations dépeintes ; la représentation des relations entretenues par les personnages passe par la plus grande clarté possible. N’ayant pas la possibilité de jouer avec le langage, L’Herbier conduit la quasi-totalité de son film sur la seule propension expressive de ses images.

Dernier film muet de son auteur, L’Argent se distingue de toute la production de L’Herbier par la sophistication de sa mise en scène et par la remarquable élaboration de l’espace représenté. L’originalité de l’œuvre du cinéaste repose sur l’extrême fluidité qui la sous-tend. Relativement loin des conceptions issues du muet, le jeu des acteurs se caractérise par une approche des plus réalistes possibles et amorce ce qui, avec le parlant, deviendra alors la norme. D’un autre côté, L’Herbier exploite les possibilités offertes par les monumentaux décors dont il dispose pour placer tout un panel de caméras aux quatre coins de la scène filmée. Tout en privilégiant les raccords entre les plans et le foisonnement des points de vue, L’Herbier accorde une place importante aux mouvements d’appareils des plus spectaculaires. Qu’ils soient horizontaux, verticaux ou circulaires, les déplacements des caméras contribuent à créer une dynamique éminemment expressive et à faire exploser le régime représentatif classique du cinéma muet.

En réalisant une œuvre aussi complexe et aboutie que L’Argent, Marcel L’Herbier se place parmi les plus grands cinéastes de son temps et réussit à composer l’un des meilleurs films muets jamais produits.

Suppléments et support technique

Ressortir L’Argent en DVD est déjà une heureuse entreprise en soi – dans la mesure où la remasterisation est particulièrement réussie – mais rééditer le film avec autant de suppléments a de quoi ravir plus d’un cinéphile.

Notons avant tout que L’Argent est accompagné par une musique originale pour piano interprétée en une seule prise, à l’instar d’un ciné-concert, par Jean-François Zygel. L’on doit à ce même musicien la présentation du film et une intervention très intéressante consacrée à l’accompagnement musical des films muets. Deux séries de bonus sont également à l’honneur : un documentaire inédit qui expose de précieux renseignements sur l’esthétique, la théorie et la restauration des films de L’Herbier ,comprenant un bon nombre d’entretiens pertinents, mais aussi plusieurs petits films d’époque qui constituent aujourd’hui autant d’archives historiques (L’arrivée à Paris de Brigitte Helm, les Essais des acteurs, la Scène de la Bourse avec ou sans bruitage d’époque). La palme revient à un surprenant making-of (de 1928 !) portant le doux nom d’Indiscrétions cinégraphiques commises pendant le tournage qui retrace les multiples expérimentations de L’Herbier. L’édition en DVD inclut également un portfolio de 32 pages contenant diverses photos du film et de son tournage et se présente dans un coffret recouvert de photos en 3D.

Edition collector Carlotta Films 2 DVD – Sortie le 24 avril 2008

Titre original : L'Argent

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Durée : 80 mn


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