Lady Jane

Article écrit par

S’essayant au « genre », en l’occurence le polar, Robert Guédiguian signe hélas ce qui pourrait être son film le moins convaincant…

Le choix est donc fait pour Robert Guédiguian : faire un polar, d’accord, mais « avec clichés » (sic). Le cliché est séduisant lorsque son emploi s’accompagne d’une volonté d’épure, lorsqu’à la reprise de formes, de scènes ou de répliques types, s’adjoint une réelle connaissance de leur fonction originelle. Que le thriller soit un genre nécessitant flingues et strip-teaseuses, courses poursuites et mines patibulaires, soit ; mais cette fidélité aux signes visibles de ce genre ne peut se concevoir sans une réappropriation « au présent », un regard personnel… ce qui manque fatalement à ce Lady Jane.

Les plus beaux films du cinéaste ont souvent puisé leur force dans leur manière d’entraver cruellement les désirs et aspirations d’hommes et de femmes emportés par une quête de liberté tardive. Désirant rattrapper un amour de jeunesse, perpétuer une révolte enfouie dans les méandres du temps, les personnages d’A la vie à la mort, La ville est tranquille ou de Marie-Jo et ses deux amours se brûlaient les ailes, mais après avoir emporté tout un film dans leur élan. La mort était au bout du chemin, mais s’accompagnait en un même mouvement d’une « résurrection » christique jamais ridicule, d’une validation de cette folie par une bienveillance céleste (le plan aérien à la fin de La ville est tranquille)… sinon une dématérialisation amniotique (la mer de Marie-Jo).

La force du cinéma de Guédiguian est dans son approche des passions, leur déploiement tardif toujours vecteur d’histoires, de fictions. L’immobilisme est en revanche son plus grand talon d’Achille, son goût de faire parfois reposer ses scènes sur le seul ressentiment de personnages inaptes à supporter leur présent, mais contraints de « faire avec ». Lorsque cette apathie tend à la légèreté (Marius et Jeannette; A l’attaque…), une bienveillance reste possible. Lorsque la seule noirceur et le glauque dominent comme dans le présent Lady Jane, difficile de retenir, davantage que de la déception, une forme de malaise profond.

Parce que les belles heures de rébellion contre le système (les trois héros sont d’ex-braqueurs, Robins des bois des seventies rangés des voitures) sont bel et bien passées, tout ce qui a été construit depuis (famille, carrière…) n’aurait plus aucune saveur. A quoi bon devenir parent puisque notre passé pointera tôt ou tard l’impossibilité pour nous de tenir durablement cette fonction ? Les jouissances, l’ivresse du passé ont un prix, le sang d’un père vaut celui d’un fils… comme chez James Gray…

Mais James Gray laisse au moins aux fils la possibilité de mettre en doute cette transmission « naturelle » de douleur. Quand bien même il faille au final se plier aux lois d’une fatalité familiale, l’héritage, bien que pesant (l’insigne, l’honneur d’un corps de métier), trouvait réplique et ne se confirmait pas sans longue introspection critique : le choix de Bobby. Dans Lady Jane, les « vieux » savent déjà que rien de bon ne peut se transmettre de leurs exactions passées, se soucient de leur progéniture « en apparence » (protéger ses enfants de l’assaut de vautours armés)… mais ne parlent au fond que d’eux-mêmes.

Titre original : Lady Jane

Réalisateur :

Acteurs : , , , ,

Année :

Genre :

Durée : 102 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…