La Tête contre les murs. Sortie BR/DVD chez ESC

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Un film important dont Franju et Mocky se sont disputés la paternité.

« Donc là, en principe, les malades sont mieux traités parce qu’ils font partie d’un hôpital, etc. Mais lorsqu’ils sont indépendants, les hôpitaux psychiatriques, c’est beaucoup, beaucoup plus difficile à gérer. » Jean-Pierre Mocky, parlant de la nuance entre les soins reçus dans les services psychiatriques d’un hôpital donné, et les soins reçus dans un centre bien distinct, possédant sa propre administration et fonctionnant sans l’intervention d’autres professions de la santé. Dans La Tête contre les murs, film-choc de 1959, comme dans la vision du monde de Mocky, à l’origine de ce projet d’adaptation de roman, on sent que l’indépendance est le propre des puissants. Les jeunes de l’époque, fougues sans causes exaltées de loubards et de blousons noirs, auront beau tenter de s’en emparer, ils n’y arrivent pas, ou que peu. Ou que temporairement. D’aucuns pourraient tenter de vivre en marge de la loi, mais cet univers aussi a ses règles, ses limites, dont la plus grande est l’attente de discrétion. Le protagoniste François Gérane, interprété par Mocky lui-même, l’apprendra à ses dépens : Vivre, c’est vivre fort ou vivre sous l’autorité, il n’y a pas d’entre deux. Lui qui a toujours été allergique aux commandes et aux ordres – ceux de son père, ceux des Beaux-Arts, institution qui l’aura déçu – souffre de ne pas pouvoir mener une existence qui lui sied. Surtout, il semble souffrir du fait que personne ne comprenne même cette envie d’indépendance – À l’exception, peut-être, de Stéphanie (Anouk Aimée), jeune femme qui tente gentiment de le ramener vers les normes, mais qui admire quand même son impétuosité.

L’indépendance, donc, est un outil accessible aux seuls grands de ce monde. Une arme qui permet, dans le cas des asiles psychiatriques, à des médecins d’agir impunément ou d’être aussi négligents qu’ils le souhaitent. Un cyclone qui fragilise les fragiles et qui ne récompense que ceux qui honorent le père. La figure du père est importante dans le film : Celui de François, après maintes et maintes tentatives ratées de reproduction sociale au bénéfice de son fils, reniera ce dernier, et le fera interner dans un hôpital psychiatrique. La décision est sans appel, elle tombe comme une sentence. On apprend que le procédé s’est fait « dans les règles ». C’est normal, le père Gérane est un grand avocat, c’est donc un ténor de la loi au détriment de la justice ! Le spectateur voit pourtant que François a toute sa tête, si impertinent soit-il, si insolentes puissent être ses méthodes. Il est capable de justifier chacune des actions prétendument « cinglées » qu’on lui reproche. Et malgré cela, il est condamné, sans autre forme de procès que celui que son père prépare peut-être mentalement contre lui depuis des années. L’internement de François a quelque chose d’une malédiction : Après un seul coup de téléphone, le montage nous amènera dans la salle dans laquelle il se réveille. Les frontières du temps sont abolies comme pour transformer cette entrée en asile en surgissement vif et aveuglant, contre lequel on ne peut se défendre. Tout un travail de jeux d’ombres est fait par le réalisateur Georges Franju pour nous dépeindre ce changement éclair de monde comme situé dans le flou entre rêve et réalité.

Maître. Père. Docteur… Même un curé au détour d’une scène à l’église (dans laquelle on voit Edith Scob, qui sera, très peu après, l’héroïne des Yeux sans visages pour Franju), il ne manque au final que les grades militaires pour compléter le catalogue que La Tête contre les murs fait des titres qu’ont les tôliers de la décision et de la tutelle. Gardiens de l’ordre moral, ils entendent protéger la société par la soustraction : Envoyer qui ne s’y épanouit pas en prison, ou à l’asile. On ne s’y trompe pas : Les dialogues entre les psychiatres joués par Pierre Brasseur et Paul Meurisse sont très didactiques. Peut-être un peu trop, même. La Tête contre les murs reste cependant un film très compétent, et est aussi fascinant aujourd’hui qu’il a été nécessaire et urgent au moment de sa sortie. Il est très bien mis en scène, et est renforcé par une bande originale surprenante de Maurice Jarre, qui ne se donne jamais le droit de faire le moindre choix facile. En outre, cette ressortie DVD/BR est un rappel bienvenu des talents pluridisciplinaires de Mocky – Acteur, adaptateur, déjà un peu réalisateur, ici, et surtout : Orateur, un briscard à la voix rauque qui, dans son entretien en bonus, va dresser un lien entre cette œuvre et l’histoire de sa famille pendant la Seconde Guerre Mondiale.

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Durée : 92 mn


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