Un beau film noir
Après avoir réalisé des courts métrages et quelques documentaires, Frédéric Farrucci passe à la réalisation de son long-métrage en coécrivant le scénario de La nuit venue avec Benjamin Charbit et Nicolas Journet. C’est un premier film de genre, qu’on pourrait placer dans la catégorie film noir puisqu’il raconte l’histoire d’un jeune homme, ex DJ, qui se retrouve à devoir rembourser une dette et à travailler comme chauffeur de VTC de façon clandestine pour une mafia chinoise infiltrée dans un Paris nocturne inquiétant. Jin rencontre un soir une jeune femme, Naomi, mais leurs destins qui se croisent ne les sauveront pas de leur nuit. Pour un premier film, présenté en ouverture hors compétition au festival d’Annonay cette année, La nuit venue impose carrément un style bien maîtrisé, malgré quelques petites longueurs et certains clichés sur le milieu. De plus, si le choix du jeune et très bel acteur non professionnel, Guang Huo, paraît s’imposer, il n’en est pas de même pour l’actrice principale, Camélia Jordana, qui n’est ni crédible, ni émouvante. On ne croit pas une seule seconde à son personnage volontairement interlope, de strip-teaseuse en quête d’amour et de rédemption, mais soit. Elle séduit Jin qui n’hésitera pas à commettre l’irréparable pour la suivre.
Bien sûr, le film est très ancré dans son époque et dans sa culture, notamment la musique représentée ici par Rone qui l’a composée spécialement pour le film après avoir eu « un gros coup de coeur » pour le scénario. Jin est censé composer un morceau pour Naomi après l’avoir vue dans son rétroviseur, lequel devient le fil conducteur de tout le film et Rone a eu la chance de le composer en voyant des images du film, ce qui est assez rare pour ne pas être souligné.
Une musique envoûtante
Donc c’est un film d’action, mais c’est aussi un film d’amour, et tout est réuni ici, avec les belles couleurs nocturnes d’Antoine Parouty, pour rendre une sorte d’hommage à Jean-Pierre Melville, notamment pour toutes les scènes qui sont tournées dans le garage. Car, en effet, tous les ingrédients du film noir sont entrés dans la composition du film, qui ne laisse rien au hasard et qui diffuse réellement une forme de malaise qui est aussi celui des travailleurs clandestins et des flux migratoires qui parcourent le Paris contemporain, et que le réalisateur dit bien connaître puisqu’il vit dans le XIXe arrondissement. Le film noir est d’ailleurs un genre qu’il affectionne « car il permet d’être à la croisée de plusieurs thèmes, déclare-t-il dans le dossier de presse du film. Sous couvert d’intrigues criminelles, ce sont souvent des films qui portent un regard sur l’époque, sur la société, sur l’humain. (…) Par ailleurs, on y trouve traditionnellement une esthétique marquée, un rythme particulier : c’est un cinéma introspectif. »
Des personnages dans leur nuit
Dans ce beau premier film qui fait augurer une belle suite de carrière, les personnages surtout masculins et solitaires, à la manière justement du Samouraï de Melville, sont au coeur de la narration, mais tout autant que la ville de Paris, filmée sous tous ses angles, et de laquelle se dégage une allure particulière, comme si on traversait avec eux une ville familière et complètement étrangère, en raison à la fois de la nuit, de l’errance et de cette espèce de déréliction propre à ces personnages perdus et sans racines. « J’avais envie, déclare le réalisateur, de faire un film de point de vue, et d’adopter celui de Jin, le héros, dont le regard s’arrête sur ce que la norme ne voit parfois pas. Parce qu’il est lui-même précaire. » Et, ne serait-ce qu’à ce niveau d’authenticité-là, La nuit venue est une belle réussite.