La Nouvelle Vague japonaise en DVD : 4 films de Nagisa Oshima

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Envoûtants, troublants et percutants, les films d´Oshima sont de petites merveilles à voir de toute urgence !…

Lentement, mais sûrement, la « collection Oshima » s’enrichit : après avoir édité les cinq premiers films du cinéaste, l’an passé (la trilogie de la jeunesse, Nuit et Brouillard au Japon, Les Plaisirs de la Chair), Carlotta Films réitère son exploit et sort quatre nouveaux longs-métrages en DVD, parmi les plus rares à ce jour : L’Obsédé en Plein Jour, Eté Japonais : Double Suicide, A propos des Chansons Paillardes au Japon et Le Retour des Trois Soûlards. Libre à chacun désormais de se faire une idée du talent d’un réalisateur particulièrement controversé et de découvrir – ou de redécouvrir, pour les plus chanceux – un pan largement méconnu du cinéma nippon.

Satire politique et esthétique expérimentale

Période de contestation sociale et de mutation des mœurs, les années 60, au Japon, offrent à Oshima un terrain d’activité on ne peut plus fructifiant. Une telle personnalité, à bien y regarder, ne pouvait éclore qu’à cette époque. Révolutionnaire dans l’âme, le réalisateur japonais a effectivement pour seul désir – et non des moindres – de changer le cinéma tout en changeant la société : de concevoir les modalités de l’un à travers les répercussions sur l’autre. D’une radicalité à couper le souffle, les quatre films dont il est question ici entrainent le cinéaste toujours plus loin dans ce double domaine de la satire politique et de l’esthétique expérimentale, dont il se revendique depuis le début de sa carrière.

Réalisateur férocement atypique, Oshima semble éviter coûte que coûte de se réduire à une étiquette ou à un style précis. Si, de film en film, le fond semble plus ou moins le même, la forme du discours, elle, évolue constamment. En réalité, Oshima lutte sur deux fronts : il s’oppose d’un côté à un type de cinéma commercial axé sur les attentes du grand public et la recherche du profit immédiat et affronte, en même temps, un second type de cinéma issu d’une certaine politique des auteurs, pour laquelle l’unité stylistique est de rigueur.

Comment peut-on croire, au premier abord, que le réalisateur de L’Obsédé en Plein Jour est le même que celui du Retour des Trois Soûlards ? Dès les premières images, ces deux films se distinguent en tout point, tant par leur approche de la mise en scène que par la conception de leur structure narrative. La seule unité envisageable chez Oshima réside en réalité dans le fondement même de son cinéma, sa raison d’être et sa volonté de survie. La prolixité stylistique dont le cinéaste se réclame recèle, dans cette optique, une puissante faculté d’adaptation et de renouvellement, dans laquelle l’ensemble des formes filmiques mises en œuvre au long des années 60 puise sans relâche.

Le cinéma d’Oshima, pour le dire autrement, s’assimile à une sorte de « virus » qui, de phénomènes sociaux en phénomènes sociaux, se sustente de l’opprobre et l’ignominie dont certaines catégories de rapports humains tendent à découler. Complexes et souvent aberrantes, les situations mises en scène visent, en ce sens, à déstructurer toute une série de fondements sociaux et à faire la lumière sur les paradoxes constitutifs de l’identité japonaise, que le pouvoir en place depuis la guerre s’efforce tant bien que mal à occulter.

On comprend bien que si Oshima s’obstine à s’opposer aux codes de représentation cinématographique (du moins, jusqu’à L’Empire des Sens), c’est moins par souci de valorisation esthétique que par la nécessité d’éclater les modes d’expression conformistes et conventionnels, et d’y substituer la libre formulation de la pensée. Tout le travail du cinéaste revient, par conséquent, à prêter au flux de sa propre réflexion, le poids écrasant de la réalité.

Sexe, terreur et violence

De facture totalement différente, voire antagoniste, L’Obsédé en Plein Jour (1966) et Eté Japonais : Double Suicide (1967) ont cependant ceci de commun qu’ils mettent à l’épreuve les fondements de l’identité japonaise, tout en cernant les limites de l’expressivité cinématographique. Dans l’un et l’autre cas, le projet consiste à tester la résistance morale du spectateur, en lui proposant les images d’un chaos accompli.

Le chaos d’une conscience, tout d’abord : celle du personnage principal de L’Obsédé en Plein Jour qui, comme le titre l’indique, n’a rien du héros ordinaire, ni même du personnage attachant. Il faut dire qu’Oshima, sur ce film, s’applique à renverser les catégories dramatiques pour lesquelles le protagoniste principal se doit de véhiculer un certain nombre de valeurs positives et se définir comme le garant d’une moralité saine et florissante. Rien de tout cela, ici : le personnage que le cinéaste nous propose de suivre est un être détraqué, en proie à de violentes pulsions sexuelles et recherché par la police pour viols et homicide volontaire.

 

Obéissant à une mise en scène particulièrement vive et à un sens du montage des plus survoltés, L’Obsédé en Plein Jour détonne par sa capacité à traiter les événements conduits par le récit, au gré de l’énergie déployée par leur propre surgissement. Sur-découpées en un nombre ahurissant de points de vue (le film contient pas moins de 2000 plans, alors que, pour une même durée, un long-métrage « classique » en propose généralement deux fois moins), les séquences se composent de façon à souligner la force psychomotrice sous-jacente aux agissements des différents personnages. Le procédé, concrètement, se caractérise par la dissolution des coordonnées spatiales (le proche coexistant avec le lointain) et une forte confusion dans les repères temporels (le passé alternant avec le présent).

 

De fait, il s’agit moins d’agencer les choses dans une optique dramatique que de rapporter le processus expressif à la base du film aux conditions sociales dans lesquelles le mouvement s’effectue. La nature de l’obsédé et des protagonistes gravitant autour de lui se conçoit en effet comme le produit des utopies communautaristes en vogue dans le Japon d’après-guerre, dont le long-métrage cherche, le plus clairement possible, à stigmatiser les méfaits.

Changement de cap. Eté Japonais : Double Suicide s’intéresse, de son côté, au monde des yakuzas et des milieux terroristes. La principale différence avec le précédent film tient à ce que, là où ce dernier repose sur l’exacerbation des moyens expressifs propres au cinéma, Eté Japonais : Double Suicide fonctionne, tout au contraire, sur l’amenuisement de ces moyens et la symbolisation des données dramatiques.

Film éminemment abstrait et énigmatique, Eté Japonais : Double Suicide raconte la captivité d’un groupe de mercenaires aux prises avec un clan de yakuzas, et se déroule pour une bonne partie dans le baraquement faisant office de prison. Se réduisant à des types, voire des caricatures, les personnages du film ont pour seule personnalité, au mieux, leur obsession (l’un ne pense qu’à mourir, l’autre à se procurer des armes et le seul personnage féminin, à faire l’amour), au pire, leur seule soif de violence (les personnages secondaires ne se différencient que par leur aptitude à posséder tel objet, l’un le couteau, l’autre le révolver, un autre encore une télévision portative lui permettant d’être au fait des attentats commis à quelques kilomètres de là). A contre-pied du réalisme cinématographique, le long-métrage, non seulement donne l’impression de se jouer sur une scène de théâtre, mais semble relever, par là, des conventions représentatives du même ordre.

  

Du Japon, en effet, nous n’avons qu’une idée, un symptôme : l’image d’un pays dévasté, quasi désert, qu’occupent policiers, soldats et manifestants nationalistes et dans lequel s’insinuent des bandes de terroristes en mal de vivre. Rarement, chez Oshima, le message politique n’a été aussi limpide et, malheureusement, aussi schématique. Poussés, on le comprend, par une société déshumanisante à l’extrême, les personnages du film n’ont d’autre choix que de prendre les armes pour laisser libre cours à leurs instincts et laisser parler leur propre nature. Non sans mordant, mais quelque peu ampoulé par trop de sophistication, Eté Japonais : Double Suicide peine à crédibiliser son discours et laisse un arrière-goût d’inachèvement. Un semi-échec pour le cinéaste.

 

Etudiants, immigrés et martyrs

Vraisemblablement conscient des risques encourus à trop vouloir changer le cinéma, Oshima – toujours aussi désireux, néanmoins, de changer la société – s’en remet, avec A Propos des Chansons Paillardes au Japon (1967) et Le Retour des Trois Soûlards (1968), à des structures filmiques bien plus faciles d’accès. Le premier s’apparente à une chronique des mœurs estudiantines, le second à une farce bouffonne sur le thème de la discrimination raciale. L’un comme l’autre se distinguent par un subtil entremêlement d’humour et de virulence des propos.

S’appuyant sur une structure narrative volontairement décousue et pauvre en rebondissements, A Propos des Chansons Paillardes au Japon brasse un bon nombre de thèmes liés à l’actualité nipponne de la fin des années 60 : la guerre du Viêt-Nam, l’américanisation de la société, l’effroi suscité par le militarisme d’avant-guerre, les conséquences de l’immigration coréenne, etc. S’appliquant à critiquer les engagements politiques tenus par le Japon, tout en jouant du discrédit de ceux qui, par leur place dans la société, en sont soit les témoins, soit les victimes, le film observe les pérégrinations de quatre étudiants exclusivement préoccupés par des questions de sexe.

  

Alternant les séquences proprement réalistes à celles fondées sur les fantasmes des quatre jeunes gens, le film d’Oshima puise son originalité dans le fait que l’arrière-plan socio-politique du récit trouve un certain écho dans les fondements psychiques des protagonistes principaux. Quelque part entre Cet Obscur Objet du Désir de Buñuel et Masculin, Féminin de Godard, A Propos des Chansons Paillardes au Japon ne cherche pas tant à analyser les transformations de la société nipponne pour elles-mêmes, qu’à comprendre comment ces mutations sont susceptibles d’influer sur les pulsions éprouvées par les jeunes japonais qui, évidemment, représentent l’avenir de la nation…

Il est difficile, cependant, de saisir toute la portée du message contenu dans le film, à moins d’être particulièrement informé sur la situation japonaise de la période en question. La séquence construite autour de l’humiliation infligée à la jeune coréenne, par exemple, peut sembler hermétique aux yeux d’un spectateur non-japonais – ce à quoi, justement, Le Retour des Trois Soûlards remédie d’une façon des plus inattendues.

Renouant avec le thème de la discrimination, le long-métrage s’inscrit – une première chez Oshima – sous le signe de la représentation burlesque. Il s’agit de démontrer, par une suite de raisonnements absurdes et de situations abracadabrantes, l’idée selon laquelle l’attitude des japonais à l’égard des réfugiés coréens est révélatrice de la crise identitaire frappant de plein fouet l’archipel nippon. Il suffit en effet que trois lycéens japonais se fassent voler leurs vêtements et revêtent à la place des uniformes coréens, pour que tous les habitants des environs se mettent à les considérer comme des étrangers et à les traiter comme tels.

 

Ludique, loufoque et décapant, Le Retour des Trois Soûlards s’affiche tout à la fois comme une parodie des films de genre (film noir, film social, film de guerre) et des propres films d’Oshima. Plus que jamais, la critique sociale visée par le cinéaste s’accompagne d’une critique des moyens de représentation et substitue aux enjeux dramatiques le cheminement d’une réflexion sur les possibilités expressives du cinéma. Appliquant là une double forme d’autodérision, le film en vient non seulement à se moquer de certains fondements de la société japonaise, mais également de lui-même. Brisé en deux parties de façon à ce que le début de la seconde reprenne les séquences de la première – avec un léger décalage qui va en  s’amplifiant – pour s’achever exactement de la même manière, Le Retour des Trois Soûlards redouble les incohérences de son propre scénario, comme s’il s’agissait d’attester de l’impasse à laquelle le Japon est confronté.

  

Pour conclure…

Avec ces quatre nouveaux opus, la « collection Oshima » témoigne incontestablement de la richesse de la production cinématographique nipponne des années 60. Il est regrettable en effet que la Nouvelle Vague japonaise ait été aussi longtemps dédaignée par les éditeurs de DVD français. Incluant pour chacun de ces films une analyse d’une remarquable finesse, signée par Charles Tesson, Carlotta Films mérite, pour ce travail de restauration, le plus grand des honneurs possibles : l’enthousiasme reconnaissant des cinéphiles. Espérons désormais qu’ils n’en resteront pas là…

L’Obsédé en Plein Jour ; Eté Japonais : Double Suicide ; A Propos des Chansons Paillardes au Japon ; Le Retour des Trois Soûlards
4 éditions Collector. Carlotta Films. Sortie, le 4 mars 2009. Prix conseillé : 14,99€ l’unité.

     

Titre original : Hakuchu no torima

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Durée : 99 mn


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