La Mine du diable.

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« Ne pariez jamais votre diable. »

« Plusieurs histoires », « amour, or, et mort ». Le fondu au noir s’estompe, mais la nuit reste : en plan très rapproché, à deux coqs tenus par des mains anonymes. Le combat -et le film- commencent. « La valeur de l’argent et de ses conséquences », nous est-il alors précisé.L’intérieur d’un véhicule, un mototaxi, avec, en arrière-plan, une fête donnant suite au combat. Deux hommes entrent dans ce qui constitue un véhicule de fortune, et partent afin d’enterrer sous des pierres, en hauteur de la ville de Lima, le coq perdant, à jamais perdu.Images de nuit, de mort, de pierres, filmées comme l’intégralité du film dans un noir et blanc sec, aux contrastes durs, sévères. Le réalisateur Matteo Tortone, directeur de la photographie de renom, nous conte ici avec une intensité particulière l’histoire d’un jeune péruvien, dont le mototaxi rend l’âme le matin suivant le combat mentionné plus haut. Un nouveau combat s’engage alors afin de nourrir sa famille, notamment son bébé.

Vivant dans les favelas des hauteurs de la capitale. Jorge part à la Rinconada, l’une des villes les plus hautes au monde, sur le toit de la cordillère des Andes, à plus de 5000 mètres d’altitude. Là-bas, là-haut, une mine, dans les flancs sombres et dangereux de la montagne. Une mine d’or. Mais une mine dont « el Diablo » est propriétaire, selon la légende, et le Diable ne cède son or qu’en échange de sacrifices. Représenté en petit homme habillé en mineur portant lampe et barbe, « el diablo » se voit offrir d’abord des cigarettes et de la coca sur l’autel qui lui est consacré. D’autres sacrifices, de plus grande ampleur, s’accompliront au cours du séjour difficile de José dans cette terre hostile et aux rues de boue, de flaques, de cailloux, aux « maisons » construites hâtivement avec des matériaux rapidement assemblés, telle son habitation d’origine dans les favelas familiaux. Le travail, d’abord considéré comme une aubaine, voire une manne pour notre protagoniste, devient de plus en plus pénible, et répétitif ; l’air constamment froid, associé à la neige et au vent, ne contribue pas à réchauffer l’âme de Jorge : chaque soir, il s’enivre, dépense l’intégralité de son salaire, puis rencontre une jeune fille évoluant dans les bars avec laquelle il vit désormais.

Une nouvelle vie se déroule, se développe, dans cet univers noirâtre, enneigé, embourbé, avec ce noir et blanc violent, sans oublier l’ambiance sonore des écoulements, des respirations devenant délicates, mais aussi des bruits de creusement, des brouettes poussées avec peine. L’asphyxie de Jorge se transforme en une toux récurrente. Mais cette asphyxie se transforme également en une mise à distance de la famille de Jorge : les appels téléphoniques sont de moins en moins tendres. Et l’or ? Qu’en est-il ? En trouve-t-on dans ces galeries profondes, où la lumière se fait progressivement (superbe travail de photographie accompli). « Le temps passe lentement dans la mine. » Tourné en décors réels, avec des comédiens amateurs mais dont l’interprétation demeure intense, En Camino a La Rinconada  s’inscrit dans une démarche néo-réaliste version Rossellini, avec un final digne d’un Buñuel. Un grand film, aux qualités filmiques et humaines indéniables.

Titre original : En Camino a La Rinconada.

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Durée : 86 mn


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