La Fleur de mon secret

Article écrit par

L’un des plus beaux et personnels odes à la femme de Pedro Almodovar.

La Fleur de mon secret est une œuvre où Almodovar mêle hommage au female pictures hollywoodien (soit ces grands mélodrames psychologiques au féminin portés par l’interprétation d’une Bette Davis, Joan Crawford et autres Barbara Stanwyck dans les années 40) et des thématiques plus personnelles. Almodovar cherche ici à capturer une forme de solitude et détresse féminine à travers le postulat de ces grands mélodrames, mais revisités à l’aune d’un contexte social contemporain. On pense notamment beaucoup à la sous-intrigue concernant Joan Fontaine dans le Femmes de George Cukor (1940) avec le personnage de Leo (Marisa Paredes), écrivain angoissé par un époux absent et qui s’avérera être adultère. La détresse de Joan Fontaine dans Femmes tenait à la fois de l’amour encore vivace pour le mari volage, mais aussi d’une dimension sociale où divorcer et devenir indépendante représentait un grand saut dans l’inconnu pour une femme encore souvent réduite à la ménagère du foyer. D’ailleurs malgré les audaces du scénario la conclusion voyait Joan Fontaine reconquérir son homme et retourner au domicile conjugal.

Almodovar écarte tout cet aspect désormais désuet, et fait reposer tous les maux de Leo sur sa seule fragilité psychologique. Sans Paco (Imanol Arias), Leo est incomplète, vulnérable et sans identité propre ce qui se répercute dans son statut d’écrivain incertain. Tout comme elle ne se résout pas à quitter cet homme qui la fuit, elle n’assume pas son alter-ego star de la littérature à l’eau de rose Amanda Gris. Almodovar dédouble ainsi les alias ou le sort de ses manuscrits, parfois pour un exercice d’autoflagellation pour l’héroïne (lorsqu’elle signe de pamphlet contre son alias dans une revue littéraire) ou pour faire malgré elle le bien comme on le découvrira dans la conclusion. Cette solitude de la femme moderne, le réalisateur la rend universelle à travers un film qui se veut un hommage à sa mère. Almodovar élevé avec ses sœurs par une mère veuve ne prit conscience qu’à l’âge adulte du profond esseulement qu’elle put alors ressentir, du cruel manque de confident à qui se livrer. Ce sentiment se manifesta d’une manière plus marquée dans sa vieillesse (car le cap d’élever sa famille passé, la béquille psychologique à cette solitude a disparue) et Almodovar l’illustre magnifiquement avec le personnage aussi attachant qu’à fleur de peau de la mère de Leo (Chus Lampreave) et son agitation presque enfantine.

Dès lors Almodovar s’appuie moins sur la densité scénaristique, la provocation et l’esthétique agressive pour tisser un écrin intimiste et réaliste à Marisa Paredes qui porte le film de bout en bout. Capricieuse, inconséquente et imprévisible, elle est avant tout poignante dans ses failles. Ce parti pris déleste cependant le film du dynamisme narratif habituel d’Almodovar, suivre une dépressive étant moins palpitant que les trames romanesques improbables habituelles. Malgré ses longueurs et petites redondances, reste donc un opus très touchant et cher à son réalisateur.

Titre original : La Flor de mi secreto

Réalisateur :

Acteurs : , , ,

Année :

Genre :

Pays :

Durée : 102 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

L’étrange obsession: l’emprise du désir inassouvi

L’étrange obsession: l’emprise du désir inassouvi

« L’étrange obsession » autopsie sans concessions et de manière incisive, comme au scalpel ,la vanité et le narcissisme à travers l’obsession sexuelle et la quête vaine de jouvence éternelle d’un homme vieillissant, impuissant à satisfaire sa jeune épouse. En adaptant librement l’écrivain licencieux Junichiro Tanizaki, Kon Ichikawa signe une nouvelle « écranisation » littéraire dans un cinémascope aux tons de pastel qui navigue ingénieusement entre comédie noire provocatrice, farce macabre et thriller psychologique hitchcockien. Analyse quasi freudienne d’un cas de dépendance morbide à la sensualité..

Les derniers jours de Mussolini: un baroud du déshonneur

Les derniers jours de Mussolini: un baroud du déshonneur

« Les derniers jours de Mussolini » adopte la forme d’un docudrame ou docufiction pour, semble-t-il, mieux appréhender un imbroglio et une conjonction de faits complexes à élucider au gré de thèses contradictoires encore âprement discutées par l’exégèse historique et les historiographes. Dans quelles circonstances Benito Mussolini a-t-il été capturé pour être ensuite exécuté sommairement avec sa maîtresse Clara Petacci avant que leurs dépouilles mortelles et celles de dignitaires fascistes ne soient exhibées à la vindicte populaire et mutilées en place publique ? Le film-enquête suit pas à pas la traque inexorable d’un tyran déchu, lâché par ses anciens affidés, refusant la reddition sans conditions et acculé à une fuite en avant pathétique autant que désespérée. Rembobinage…