La Cousine Angélique

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Carlos Saura dessert l’étau du Franquisme à travers un brûlot ironique et nostalgique.

La Cousine Angélique sous ses airs de fable nostalgique sur l’enfance s’avère le film le plus frontal de Carlos Saura dans sa critique du Franquisme. Après avoir usé de la métaphore et de l’allégorie sous toutes ses formes dans ses films précédents, le réalisateur ose aborder la guerre civile espagnole du point de vue des vaincus. Une hérésie rendue possible par la politique d’ouverture du premier ministre espagnol Carlos Arias Navarro, mais qui n’empêchera pas les controverses en pagailles. Le scénario, bien qu’irritant le comité de censure, est validé par le ministre de la culture Pio Cabanillas et connaîtra un immense succès public et critique (Prix Spécial du Jury à Cannes 1974) à sa sortie et générera nombres d’incidents avec tentatives de vols de copies, boules puantes dans les salles et diatribes de la presse de droite.

Tout l’art du brûlot de Carlos Saura repose sur sa forme subtile, pervertissant un récit qui ne révèle que progressivement sa provocation. Luis (José Luis López Vázquez), modeste éditeur barcelonais revient en Castille pour enterrer les cendres de sa mère. Les retrouvailles des lieux et de sa famille le ramènent ainsi à son enfance où en ce crucial été 1936, ses parents Républicains le confièrent à sa famille franquiste pour poursuivre le combat. Luis, par nostalgie ou un traumatisme qu’on ne connaîtra que tardivement, semble être resté figé dans cette enfance et notamment son amour pour sa cousine Angélique. L’idée de génie sera de revisiter les souvenirs d’enfance sans plier aux codes classiques du flashback puisque Luis conserve son allure d’adulte même dans les séquences du passé. Les choix de Saura font perdre les repères temporels, Luis adulte séjournant chez sa tante et donc les lieux de son enfance. Un effet de montage, un raccord, un éclairage différent ou une ambiguïté de point de vue suffit à passer d’une époque à l’autre. Les jeux de miroirs entre les périodes se font par le casting, créant un mimétisme dans les sentiments qui animent notre héros. Angélique enfant (María Clara Fernández de Loaysa) est jouée par la même actrice que la fille d’Angélique adulte (Lina Canalejas), cette dernière interprétant aussi la tante dans les scènes du passé. L’innocence enfantine prend ainsi un même visage, tout comme la douceur féminine et charnelle, et ce parti pris dessine une ambiguïté œdipienne troublante, un vertige sentimental déroutant (un même visage séduisant Luis adulte, puis le réconfortant enfant, la camarade de jeux complice devenant la filleule espiègle) par la grâce de transitions magistrales.

Certains moments confinent au génie pur lorsque Luis se réveille en saluant Angélique de sa fenêtre, les deux interlocutrices incarnant chacun un visage de son idéal. Le visage du mal s’offre aussi ce même effet de répétition mais de manière plus complexe. L’oncle franquiste Anselmo (Fernando Delgado) raillant le parti pris Républicain du père de Luis est là aussi joué par le même acteur jouant l’époux adulte d’Angélique. Un même visage est alors synonyme de l’amour arraché de Luis, franquiste au passé, mari indigne et avide au présent. Bien que Carlos Saura orchestre des moments charmants de candeur qui raniment ces bonheurs simples de l’enfance, la douceur des flashbacks crée autant de doute que la chaleur des retrouvailles du présent. La raison est le jeu subtil de José Luis López Vázquez (qui avait déjà excellé en chef de famille infantilisé dans Le Jardin des délices, 1970) tout aussi hébété au passé qu’au présent – garder l’acteur adulte aura amené bien plus de richesse que de prendre un enfant – comme si un choc l’avait figé dans cette enfance. Tout le traumatisme est rattaché à cette Guerre Civile de 1936 qui donne les séquences les plus douloureuses de façon concrète (la famille se calfeutrant en entendant des coups de feu, le carnage de l’école subissant un bombardement) ou symbolique avec cette église inquisitrice qui surgit dans un cauchemar de Luis avec cette religieuse ensanglantée. La conclusion poursuit et parachève ce parallèle temporel au rapprochement impossible de Luis et Angélique et laisse enfin voir la violence franquiste qui a brisé définitivement le héros. C’est une annonce du Cria Cuervos à venir où Carlos Saura scrutera directement le Franquisme à travers les yeux d’un enfant.

Titre original : La prima Angelica

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Durée : 105 mn


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