L’apparition de l’auteur Netflixien : De Ryan Murphy à Mike Flanagan.
La Chute de la Maison Usher est une série qui offense et s’oppose à un certain nombre de nos sensibilités artistiques. Même si, en théorie, on a déjà vu et on verra encore bien pire cette année, en séries ou en films – Blockbusters expéditifs avec une action approximative et 5 minutes de Bruce Willis, téléfilms fauchés dans lesquels des acteurs médiocres échouent à sauver des dialogues inertes –, en pratique, la compétence basique de techniciens venus pour cachetonner, ainsi que l’unité de la vision d’un nouveau baron de l’horreur, Mike Flanagan, sont mises trop efficacement au service d’une philosophie de création que nous trouvons âpre et avilissante. Les comédiens, presque tous des fidèles de la filmographie de Flanagan (Bruce Greenwood, jamais plus évidemment un Ray Wise du pauvre ; Carla Gugino ; Henry Thomas ; Rahul Kohli ; T’Nia Miller) sont ininspirés et ininspirants. Ils ne sont pas à vanter, et ne sont pas épouvantables non plus. C’est peut-être pire ! S’ils avaient été réellement catastrophiques, ils n’auraient pas su aussi bien restituer une promesse audiovisuelle à ce point indifférente et paresseuse. Et les quelques bons instincts de certains des artistes impliqués (dont Flanagan lui-même, qui nous offrait une mise en scène patiente et précautionneuse dans ses adaptations de Stephen King, Gerald’s Game et Doctor Sleep) rendent le tout d’autant plus frustrant qu’ils brillent par leurs absences : C’est comme si quelqu’un avait réalisé que l’ambition n’était pas une nécessité dans les séries Netflix, et qu’il avait donc décidé, très cliniquement, d’exciser toute trace trop visible de celle-ci dans ce portage d’écrits d’Edgar Allan Poe.
Nous ne ferons pas acte de bonne volonté envers une réalisation en pilote automatique (Celle-ci est peut-être due au fait que le chef-opérateur habituel de Flanagan, Mike Fimognari, soit de double-corvée : Il réalise aussi 4 des 8 épisodes). La Chute de la Maison Usher n’en fait après tout pas pour le temps qu’on lui consacre. Son idée centrale est de lier entre elles, dans un seul corpus semi-épisodique, les nouvelles les plus connues d’un maître du fantastique. Voulant moderniser, actualiser, remixer, La Chute de la Maison Usher ringardise : Ses sabots sont tellement gros, ses flatteries tellement impétueuses qu’aucun spectateur ne pourra se féliciter d’avoir attrapé le clin d’œil à la trame du Corbeau. Il se sentira pris par la main, voire tiré par les yeux par des gros plans sur des corvidés. Il ne verra que de la condescendance alors que de la musique angoissante résonne, et qu’il découvre une femme mystérieuse (Gugino) en masque noir d’oiseau de mauvaise augure. Voulant établir une sorte de « Poe Cinematic Universe », La Chute de la Maison Usher se croit très maline mais arrive après la guerre : Même les studios Marvel n’attirent plus autant les masses, depuis quelques temps. La série se fait profession de foi : Son dieu est la propriété intellectuelle, ses messes, les recréations d’images reconnaissables et faciles à mettre dans des trailers. Et au nom de quoi ? D’une mode qui commence à ne plus en être une. Voulant être expansive, La Chute de la Maison Usher est longue, affreusement longue ! C’est son défaut le moins pardonnable : Si tout s’enchainait de manière moins endormie, le spectateur pourrait peut-être arracher un peu de frisson à la série. Les morts ironiques et méritées des personnages auraient eu le sel d’un slasher bas de plafond, au lieu de quoi on sent arriver leur balourdeur à des kilomètres.
Mike Flanagan rêve de faire une version horrifique de Succession, mais son dernier né ressemble plutôt aux éléments les moins sérieux des parcours de ses acteurs. Rappelons-nous, Kate Siegel était apparu dans Ghost Whisperer et Willa Fitzgerald était l’héroïne de Scream, l’adaptation en série bâtarde à souhait. Flanagan pense sans doute proposer un opus télévisuel de ce que peut être l’elevated horror, mais il trahit ses congénères en révélant la profonde artificialité de la technique : Une dose mortelle de lenteur et de sérieux ; une imagerie qui vole un revêtement de grandeur cérémonielle, alourdissant à la bétonnière ce que l’épouvante peut provoquer de plus impensé et décérébré, de plus jubilatoirement réflexe.
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Avant de revenir sur la structure narrative de cette production, il est peut-être plus facile pour nous de présenter son commentaire social : La Maison Usher, en effet, est une satire de la famille Sackler, dynastie mal fagotée de Big Pharmaciens en banqueroute morale, trafiquants corrompus de drogue légale dont les médicaments sont à l’origine de la plus récente et plus vicieuse crise d’opiacées des Etats-Unis. Le sujet est d’actualité et d’importance. La cible est facile, mais elle a amplement mérité son bizutage : Pour cette raison, La Maison Usher n’arrive pas en premier. Toute la beauté et le sang versé, sorti plus tôt dans l’année en France, s’attaquait également aux Sackler, et critiquait particulièrement les liens de mécénat qui les lient à de nombreux musées d’art. L’aspect tentaculaire d’un clan vampirique dopé au pouvoir santécratique n’apparaîtra pas ici. Exit les amateurs de tableaux du Louvre, dans la série de Flanagan, les enfants Usher seront tous génériquement superficiels et insipides, comme peuvent l’être les gosses de riches de n’importe quelle autre œuvre. Prospero Usher (Sauriyan Sapkota) est un irrépressible clubber qui voit la vie en couleurs néons. Camille (Siegel) est addict aux fake news. Leo (Kohli) est un stoner passionné de jeux vidéo. Nous sommes donc bien loin, et des Usher de Poe, et des Sackler du monde réel ! Et si La Maison Usher n’est pas tenue aux mêmes exigences de recherche et d’engagement que Toute la beauté et le sang versé, oeuvre après tout couronnée Lion d’Or 2022, sa relative modestie ne justifie pas tout ! Sur ce coup-ci, Prime Video triomphe de Netflix : L’excellente ré-imagination de Faux Semblants par Alice Birch sortie en avril, nous offrait, à l’aide de dialogues endiablés et d’une honnêteté dérangeante, une réinterprétation étourdissante des Sackler. Faux Semblants empruntant aussi un certain nombre de codes aux genres horrifiques, La Maison Usher n’a définitivement aucune excuse.
Nous évoquions plus haut les personnages de Prospero, Camille, et Leo. Il s’agit, respectivement, des personnages centraux et des victimes dans les épisodes 2, 3 et 4. La série suit un schéma assez méthodique : Après un premier épisode d’introduction, où sont posés un cadre narratif pénible (les aveux du patriarche Roderick (Greenwood) à un procureur) et une origin story laborieuse, on devine qu’on assistera à une mort, et à une adaptation d’un récit de Poe par épisode. Toutes seront provoquées par la cupidité et la stupidité de ces capitalistes en puissance. Mais ces faillibilités et ces répugnances humaines ne sont pas assez caractérisées et texturées pour fasciner, pas assez exagérées pour faire rire. Le problème est le même que celui de l’entretien qui oppose le père Usher au procureur : Les deux hommes se disputent et se répètent, ils radotent, délaient constamment la révélation d’informations qu’ils sont pourtant venus donner d’eux-mêmes. Ces comportements opaques sont ceux de la vie réelle, mais la série n’a aucune prétention de réalisme, et aucune prise pour aborder des errements psychologiques. Le spectateur se retrouve donc avec l’impression que la série reporte pour reporter. Le retard, la promesse : Ce sont les seuls atouts que La Maison Usher a dans sa manche, elle tease en permanence son dernier épisode, « Nevermore » (qui n’entre pas dans le schéma que nous avons décrit : D’ici son final, la série sera arrivée à court d’enfant Usher à massacrer). Seigneur, le cinéma de Mike Flanagan a-t-il toujours été aussi vide, aussi rigide ?
Parfois, on a du mal à imaginer que ce qu’on voit a été mis en forme par un auteur, si Netflixien soit-il. Plutôt par une crue boueuse et nouée. Par Quelqu’un, dans la dimension la plus anonyme que peut prendre ce mot. L’épisode 2 a été réalisé par Quelqu’un qui a vu Climax, ou au moins, son affiche. L’épisode 3, par Quelqu’un qui a vu La Planète des Singes, ou au moins, sa bande-annonce. L’épisode 4, par Quelqu’un qui a vu Conversation Secrète, et ne l’a pas compris.
À leur suite, l’épisode 5 offre d’adapter Le Cœur révélateur : Même ça, Faux Semblants le fait mieux dans son épisode 6, à grand renfort d’un mixage son studieux et travaillé. Nous avons choisi d’arrêter les frais à ce moment-là, et ne sommes pas allés plus loin. « Nevermore » est peut-être génial, tant pis. S’il l’est, il souffre d’avoir été dissimulé sous une prise d’otage audiovisuelle, une forme de chantage qui a éconduit notre attention.