Karmapolice

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Voyage au bout de soi.

Angelo, flic idéaliste, veut changer de métier. Il se jette corps et âme dans les histoires de son quartier afin de rééquilibrer son karma.  « La loi du karma définit que pour atteindre la libération, le nirvana, chaque être en souffrance doit revivre sa souffrance jusqu’à trouver la réponse ». Tel est le chemin de vie que parcourt le protagoniste du film, Angelo, surnommé Angel par ses collègues policiers qu’il fréquente moins depuis sa dépression.

D’emblée, dès son générique, constitué de photographies en noir et blanc de la Porte de la Chapelle devenant un reportage sur le vif d’êtres laissés pour compte, immergés par la drogue, le film nous happe par son aspect documentaire. Le réalisme (mais non misérabilisme) de Karmapolice pose ensuite sa caméra sur une vue d’ensemble du Château Rouge, quartier dynamique et multiculturel du 18ème arrondissement, rue Dejean, où emménagent Angelo et sa compagne Pauline. Le protagoniste, dont nous devinons progressivement le mal-être, sa dépression, suite à un évènement traumatisant dans sa fonction de policier, s’imprègne de l’ambiance vivante, variée de ce quartier populaire, au fil du temps et de ses rencontres avec les habitants, les commerçants, et les personnalités, notamment « Poulet », un homme désœuvré, handicapé, parcourant les rues et les situations avec une béquille, bénévole attaché aux démunis du foyer qu’il fréquente et aide avec passion et assiduité. Un lien se noue entre Angelo et cet intercesseur qui réussit à trouver des solutions lors de conflits ou de rapines. Le policier en quête de rédemption voit dans cette relation le moyen de sortir de sa déprime, en devenant lui-même un sauveur des âmes.

Néanmoins, cet aspect plaisant, voire émouvant, du long-métrage alterne avec des zones d’ombres, comme celle de sa voisine junkie grande consommatrice de crack, confinée dans son appartement par la volonté d’un représentant du mal, Anselme, qui l’entretient dans une perversion de quasi-candaulisme. Pauline, quant à elle, considère l’attachement de son compagnon à la rue Dejean comme un obstacle à sa volonté de quitter le Château Rouge au plus vite, pour un appartement et un arrondissement plus agréable et bourgeois.

Outre ses qualités narratives, et ses trois personnages principaux, Karmapolice développe un art maîtrisé de la mise en scène. Julien Paolini, que nous connaissons depuis son court-métrage Tuer l’ennui (2011), donne à ce quartier l’envergure d’un personnage à part entière, un centre névralgique où gravitent un microcosme avec ses moments heureux et parfois tragiques, une ambiance nous rappelant le cinéma du réalisme poétique d’un Carné ou d’un Duvivier, avec sa faune et sa flore chargée de passion et d’humanité. D’autres lieux installent une atmosphère plus anxiogène, par le jeu des couleurs (celles de l’appartement d’Angelo et de Pauline, lieu enfoui dans le rouge et le bleu, sans aucune lumière extérieure, endroit propice aux tensions du couple), des décors (l’appartement de la voisine, qui donne sur une brèche, une ouverture vers une pièce secrète dans lequel Anselme, recherché par la police se terre et donne libre cours à ses perversions teintées de bleu), des mouvements de caméra qui accompagnent fébrilement les actes et les déambulations d’Angelo et de Poulet, mais également les oscillations entre réalité et onirisme, espaces diurnes et ouverts en opposition aux zones nocturnes et menaçantes. Lynch y côtoie Ferrara, tandis que Mac Orlan, Dabit, et Carco voisinent avec Selby Jr. Avec des accents pasoliniens. Angelo nous remémore, par son look et certains traits de caractère, Serpico dans le film éponyme de Sidney Lumet.

Plus qu’un polar, Karmapolice ressemble à un street movie : un film atypique mais bienvenu, soutenu par une réalisation, une histoire, des personnages attachants, maléfiques, ou ambivalents, et des acteurs d’une intensité remarquable : Syrus Shahidi, Karidja Touré, Alexis Manenti (merveilleux Poulet). Une œuvre sans mièvrerie, loin des stéréotypes convenus, une immersion passionnante dans la psyché et l’existence d’un ange déchu souhaitant déployer de nouveau ses ailes.

 

 

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Durée : 80 mn


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