Juliette des esprits est à mettre en miroir avec 8 et demi. Fellini rend ici hommage à sa muse, sa compagne de toujours, son clown, Giuletta Massina. Délaissée et trompée par son mari, Juliette est habitée par des esprits qui l’entraînent dans un autre monde. C’est dans cet autre monde que nous entraîne aussi Fellini, un monde dont le caractère surnaturel est accentué par le regard enfantin de Juliette et les couleurs sublimes des costumes et des paysages.
Epouse fidèle et femme d’intérieur exemplaire, Juliette doit affronter son mari, ses sœurs et sa terrible mère. Mais si, pour nous, la vie de Juliette est d’un désespoir criant, pour elle, les choses sont sensiblement différentes. La puissance de son imagination nous livre une vision en marge de la réalité, véritable mise en abyme cinématographique. Le monde de Juliette est autre, il s’imprime dans les gestes, les décors et les costumes qui l’entourent. Tout s’y double pour attendre une autre vision de la réalité.
Le spectateur est donc pris dans cette vision parallèle. Tout le film oscille et joue de cette croyance au surnaturel. De la séance de spiritisme où Juliette perd pied à l’entretien avec le voyant, personnage ambigu et troublant, le surnaturel baigne le film et le fait basculer dans l’étrangeté.
La tentation s’offre à Juliette sous deux formes différentes. La première lui est amenée par son mari : c’est un étranger qui lui offre un verre de sangria, la seconde, par son amie : c’est un jeune homme qui s’offre à elle dans un lit. Mais Juliette n’accomplit aucune de ces deux possibilités. Personnage pur seulement tenté, elle restera pure jusqu’à la fin.
Juliette des esprits est aussi un film sur la puissance de la couleur et des ressources de la nature. Des rouges éclatants et des verts sombres, des costumes somptueux et une nature pleine de surprises font de ce film un mirage miraculeux. Les arbres sont munis de panier d’osier pour y monter et de cabanes pour y partager des confidences, la mer charrie et vient déposer sur la plage une voiture à porteurs contenant une magnifique femme qui deviendra l’amie de Juliette. Les promenades de Juliette et de sa famille, sous les arbres, sont un régal pour le regard et marient avec grâce, dans une lumière très travaillée, les colorations claires et les ombres.
Mais c’est bien Giuletta le centre du film : cadrée sous tous les angles, habillée de la tenue la plus simple à la plus sophistiquée, du blanc immaculé ou rouge sang, avec toujours le même regard sur le monde, entre l’innocence et l’incompréhension, la douceur et la force. Lors du départ de son mari, c’est de dos que Fellini la filme, pour laisser sa nuque traduire l’impuissance de cette femme-enfant face à la dureté du monde qui est le sien.
Preuve d’amour s’il en est, Juliette des esprits rend aussi bien hommage au talent de Fellini qu’à celui de Massina. Les esprits de Juliette sont des actes de création purs, des explorations sans cesse renouvelées du monde des possibles : une certaine façon de voir, poétiquement, le cinéma.