Je vois rouge

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Partie enquêter sur le passé d’espion de sa famille, la réalisatrice revient plus riche d’elle-même.

Mener une enquête

Née en Bulgarie, puis émigrée en France avec ses parents, à la chute du Mur, Bojina Panayotova est passée par l’École normale supérieure pour des études de philosophie, puis elle a opté pour le cinéma. Après sa rencontre avec le collectif de réalisateurs et producteurs Stank, elle réalise des courts métrages dits «  sauvages  ». Je vois rouge est son premier long métrage, sélectionné à la Berlinale en 2018, en tant que film documentaire et c’est une réussite à divers titres. Tout d’abord, parce qu’il met en scène les divers points de vue d’une même famille au sujet de leur départ de Bulgarie. Bien sûr, ses parents, la famille restée à Sofia et elle-même n’auront pas le même point de vue. Elle décide donc de quitter Paris et de se rendre seule en Bulgarie pour mener son enquête. Elle ne restera en contact avec son mari resté à Paris que par Skype et en profitera pour passer son permis. Cette idée du permis est une belle idée car, au départ, c’était pour se réapproprier les rues de Sofia, mais elle fera du moniteur une sorte de confident, voire de psychanalyste qui servira de fil rouge au film.

 

 

Un road-movie politique

Toutes ces aventures donnent au film un aspect plus que réel, parfois presque surréel, jouant sans cesse sur la corde de la comédie loufoque et le drame familial. L’autre problème que le film évoque de bout en bout, c’est la question même du doute et de l’enquête. En soupçonnant de la sorte, et de manière quasi inquisitoriale, sa famille d’avoir appartenu à la police secrète bulgare de l’époque socialiste, et en cherchant partout des preuves pour l’impliquer, la réalisatrice finit par prendre conscience qu’elle devient à son tour pire que la police politique. À ce point du film, et face à l’agacement, au rejet même de sa famille et à son propre désarroi lors de ses multiples rencontres notamment avec sa propre mère, on mesure combien il est difficile d’être manichéen lorsqu’il s’agit de juger les engagements politiques et l’histoire d’un pays. De quel côté se place la vérité  ? Qui est vraiment responsable  ? Et si ses parents et surtout grands-parents ont été nolens volens des espions pour le compte de la Bulgarie, sont-il encore coupables, et de quoi  ?

 

 

Toutes les formes de cinéma

Sous ses dehors légers et parfois même comiques, le film est d’une grande gravité, présenté comme une sorte de self enquête road-movie, dans lequel Bojina Panayotova se place au centre, mais sans concession allant même jusqu’à jouer avec sa propre paranoïa. En fait, lorsqu’elle arrive en Bulgarie, le pays connaît une énorme vague de contestation qui malmène les «  ordures rouges  » qui sont alors toujours au pouvoir. Ce mot de socialisme, si adulé du temps des communistes au pouvoir, puis balayés brutalement à la manière de ce qui s’est passé alors dans les autres pays satellites, lui revient maintenant au visage comme une insulte. Pour la réalisatrice, qui a étudié la philosophie, ce changement radical ne manquera pas de la questionner sur la place de la vérité en politique. Il est difficile de la trouver et de la rendre pérenne, c’est ce que nous constatons de nos jours avec les dérives autoritaristes d’un gouvernement aux abois en France. «  Rien n’est jamais acquis à l’homme…  » et ce constat, Bojina Panayotova le met en scène de façon très moderne, utilisant toutes les formes du cinéma vérité et militant, proches du travail de vidéaste qui fonde la place de son film dans l’Histoire contemporaine. «  Le film a un aspect performatif très contemporain qui m’est naturel, confie-t-elle au dossier de presse du film, avec des références au situationnisme, à Sophie Calle, à la culture des hackers et du do-it-yourself, et même à la télé-réalité… Je voulais utiliser les outils de ma génération, le numérique, le Web, les split screens, toute cette matière qui n’est pas noble au cinéma, mais j’étais persuadée que je pourrais l’érotiser et la rendre cinématographique. Les archives, je ne les utilise pas comme preuves historique mais pour leur puissance romanesque qui ouvre un gouffre à fantasmes sur les mystères d’un régime totalitaire et sur ceux de mes parents. Ce sont des images documentaires qui suscitent la fiction.  »

Réalisateur :

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Durée : 83 mn


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