Frère et sœur
Le ciel se couvre, il fait un peu moins chaud. Commençons par une danse de la pluie pour rafraîchir l’atmosphère. Aujourd’hui est un grand jour, pas moins de sept films et non des moindres. Et d’abord, à tout seigneur, tout honneur : commençons par le film d’Arnaud Desplechin, Frère et sœur, qui est son quatorzième film. Récompensé dans les plus grands festivals, sélectionnés plusieurs fois à Cannes, il n’a jamais obtenu de Palme d’or. Alors pourquoi pas cette année ? Mais laissons Hugo nous en dire un peu plus car il a réussi à le voir.
J’ai effectivement réussi à le voir et, je peux affirmer que pour qui aime le cinéma d’Arnaud Desplechin (c’est le cas de votre serviteur) la vision de son dernier film en compétition est un plaisir, que dis-je, une gourmandise à déguster avec gloutonnerie. Toutes les lubies de l’auteur y sont, à commencer par l’un des sujets majeurs du cinéaste : celui de la famille conflictuelle. Ce thème est ici magnifié au travers de l’histoire de ce nouvel opus : une relation haineuse, viscérale, entre un frère et une sœur, qui se trouve percutée par le grave accident de leurs parents et qui les force à se rapprocher l’un de l’autre, malgré une répulsion semblable à ceux de pôles magnétiques opposés (il faut dire que le frère écrit de méchants romans servant à régler des comptes avec sa sœur haineuse). De cette relation toxique, l’auteur tire une réflexion intimiste, en droite ligne avec ses œuvres précédentes, sur des thèmes tels que le hasard, le destin, la mort, la maladie, ou encore la psychiatrie. Le tout est magnifié – une fois n’est pas coutume – par un langage élégant, roulant et sensuel, au-travers duquel chaque personnage, au moyen de joutes verbales, se livre à une sorte de psychanalyse (parfois sous opioïdes) pour trouver la force de muter, d’évoluer et de changer. Un détail manque toutefois à ce tableau : point de Mathieu Amalric dans les parages. Mais ce souci est vite oublié tant Melvil Poupaud s’insère avec élégance, grâce et subtilité dans un costume qui aurait été taillé sur mesure pour l’acteur fétiche de Desplechin. Il est épaulé par une Cotillard au sommet de sa forme et leur relation de haine mutuelle plus que crédible – servie le plus souvent avec de grands sourires – est hypnotique. Esthétiquement, à la manière de ses deux précédentes œuvres, Desplechin a recours à une scénographie, bien que foisonnante de cadres variés, relativement classique, consistant à suivre ses deux personnages par le biais d’un montage alterné. Ce procédé lui permet d’accentuer habilement la radicalité de la séparation de l’un avec l’autre rendant chacune de leurs rares scènes de face-à-face, naturellement tendues et pleines d’un suspense enivrant. Mais pas d’inquiétude, Desplechin demeure un moderniste et il a la bonne intelligence de ponctuer son film de quelques séquences réalisées dans un style moderne, parfois même féerique. Vous l’aurez compris, je pense, que c’est un film très agréable et qui n’aura malheureusement pas la palme d’or. Impossible, Spike Lee ayant eu l’idée saugrenue de la confier à Julia Ducournau l’année précédente (jamais une même nationalité n’a eu la palme deux fois de suite, en tout cas, pas que je sache). On pourra peut-être se consoler avec un Melvil Poupaud récipiendaire du prix d’interprétation masculine, qui sait ? On peut rêver. Je vous laisse ici et rends la parole à Jean-Max Méjean qui, je crois, ira le voir demain, maintenant que la fameuse billetterie cannoise informatisée fonctionne mieux.
Hugo Dervisoglou
Une anti-Sissi
De mon côté, à 11 heures, c’est Corsage dans la sélection « Un certain regard ». Film de l’Autrichienne Marie Kreuzer, réalisatrice de cinq longs-métrages, pas vraiment connus en France sauf peut-être The Ground Beneath My Feet sorti en 2019, qui me dit vaguement quelque chose, mais qui a dû être occulté par la covid. Avec ce Corsage, on ne peut que craindre encore une fois les retombées des féministes #MeToo et des woke. Ça devient vraiment fatigant mais le film est en fait assez attrayant et original. On connaît tous bien sûr Sissi l’impératrice d’Autriche rendue immortelle et glamour par la belle Romy Schneider. Mais bien sûr, le contraire vous étonnerait, elle n’était pas du tout comme ça en réalité. Certes Marie Kreuzer a bien le droit de la dépeindre à sa façon, sa nationalité lui en donne l’opportunité et le droit. C’est la belle Vicky Krieps qui a eu l’idée de ce scénario et elle y incarne d’ailleurs magnifiquement l’impératrice dans le film de Marie Kreuzer. Télérama a aimé ce film et avec raison, même si Marion Sauvion émet des doutes sur la véracité de certaines séquences. « Corsage, en effet, n’émarge pas vraiment au genre du biopic, écrit elle, s’apparentant plutôt à un récit d’émancipation fantasmé à l’aune du féminisme contemporain. On doute que la souveraine ait jamais quitté un dîner officiel en faisant un doigt d’honneur ou traité le valet de son époux de « gros connard »… Mais si Quentin Tarantino peut tuer Hitler dans Inglourious Basterds (2009) ou sauver Sharon Tate dans Once Upon a Time… in Hollywood (2019), la cinéaste autrichienne a le droit, elle aussi, de réécrire l’histoire par la magie du cinéma. » Alors woke ou pas, à vous de vous faire une idée lorsque le film sera en salle, mais le moins qu’on puisse en dire est qu’il ne laissera pas grand-monde indifférent.
Les vieux Japonais
A 14 heures, on ne change pas de sélection. Toujours pour « Un certain regard », voici le nouveau film de Hayakawa Chie, cinéaste japonaise qui était déjà venue avec Niagara en 2014 invitée par la Cinéfondation. Son nouveau film, Plan 75, d’une grande beauté plastique, traite cependant d’un sujet grave et récurrent : le vieillissement de la population japonaise dans un futur très proche. C’est à l’aune de ces choix de films sélectionnés qu’on se dit que les festivals sont peut-être plus le miroir du monde actuel qu’un bon panorama sur le 7ème Art. « L’élément déclencheur a été la tuerie qui a eu lieu dans une maison de retraite au Japon en 2016, déclare-t-elle dans le dossier de presse du film. Il m’a semblé que cet évènem50ent était le fruit d’une société où l’intolérance était devenue la valeur dominante. La peur et la colère envers cette intolérance sociale m’ont conduite à réaliser ce film. » Voilà tout est dit, et cette intolérance n’est pas propre au Japon, ce qui est bien plus inquiétant. Et vous qui pensiez vous changer les idées en allant à Cannes…
On n’a hélas pas le temps d’aller voir dans le cadre de Cannes Classics la copie restaurée du chef d’œuvre de Vittorio de Sica, Sciuscià, réalisé en 1950. Ce film sur le malheur de l’enfance misérable et l’exclusion sociale (ainsi qu’on ne le disait pas alors…) est considéré comme le phare du mouvement néoréaliste italien né après la Seconde Guerre mondiale. A la suite de Rossellini et de Visconti, Vittorio de Sica nous entraîne dans la description de la misère sociale de son pays. Ainsi, après Ossessionne de Visconti en 1943, De Sica nous propose Les enfants nous regardent en 1944 qui est un portrait de l’enfance, qu’il complètera plus tard avec Sciuscià, mais aussi Le Voleur de Bicyclettes en 1948, Miracle à Milan en 1951 et Umberto D en 1952 qui donnent de l’Italie de l’après-guerre une vision austère mais pas complètement désespérée.
Le dernier hiver du Cid
Rayon : La nostalgie n’est plus ce qu’elle était ou Que les grands acteurs français nous manquent cruellement, après Romy Schneider mercredi, Patrick Dewaere hier, voici le tour du grand Gérard Philipe qu’on ne présente plus. Il aurait eu cent ans le 4 décembre prochain. Notre société adore commémorer peut-être parce qu’elle n’a plus rien d’autre à proposer. Le film s’appelle Gérard Philipe, le dernier hiver du Cid. Il est réalisé par Patrick Jeudy et adapté du livre homonyme de Jérôme Garcin paru en 2019 et qui était le gendre de Gérard Philipe. Et ce n’est pas tout car ce film et le souvenir du grand comédien trop vite disparu s’accompagne de toute une série d’événements. Lu sur le site du festival de Cannes : « Cette projection, couplée à celle de Fanfan la tulipe de Christian-Jaque en copie restaurée le vendredi 27 mai à 21h30 au Cinéma de la plage, s’inscrit dans un élan de commémoration plus vaste, partagé par la ville de naissance de l’acteur. D’avril à septembre se tiendront, à Cannes, des projections de films dans lesquels il a joué, des concours d’éloquence, des essais au théâtre. L’occasion de retrouver la voix et le regard inoubliables de l’acteur phare du cinéma français d’après-guerre. »
Le polar selon Dominik Moll
A 19h30, pour Cannes première, c’est la projection en sélection officielle du nouveau film de Dominik Moll qui s’était fait connaître il y a plus de 20 ans avec son Harry, un ami qui vous veut du bien, sorte de thriller décalé qui avait bien marqué les esprits. Depuis sa carrière avait connu des hauts et des bas. Le dernier film en date, Seules les bêtes, était très original. Malheureusement, nous ne pourrons en dire plus, sauf à y revenir demain car impossible d’avoir un billet. Mais on sait qu’il s’agit d’un bon vieux polar : à la PJ chaque enquêteur tombe un jour ou l’autre sur un crime qu’il n’arrive pas à résoudre et qui le hante. Pour Yohan c’est le meurtre de Clara. Les interrogatoires se succèdent, les suspects ne manquent pas, et les doutes de Yohan ne cessent de grandir. Une seule chose est certaine, le crime a eu lieu la nuit du 12. Avec Bastien Bouillon, Bouli Lanners, Johann Dionnet et Anouk Grinberg.
Il était une fois
On terminera cette journée encore une fois très dense avec le nouveau film de l’éclectique George Miller qu’il a présenté hors compétition ce soir à 19 heures, Three Thousand Years of Londing, autrement dit Trois mille ans à t’attendre. Avec Idris Elba et Tilda Swinton, ce film ne peut se raconter, les pitcheurs vont avoir du mal. C’est comme un conte du type : il était une fois, qui commence ainsi : Alithea Binnie, bien que satisfaite par sa vie, porte un regard sceptique sur le monde. Alors qu’elle est à Istanbul, elle rencontre un Djinn qui lui propose d’exaucer trois vœux en échange de sa liberté. Mais nous y reviendrons plus précisément dans les jours qui viennent. En attendant, le temps se couvre, pourtant la nuit est douce. Le cinéma fait rêver. Mardi, il pleuvra, c’est ce qui se murmure chez les festivaliers.
Jean-Max Méjean
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