Festival de Cannes 2022 – Jour 1

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Lancement du 75ème Festival de Cannes…entre galère et délices… Par nos rédacteurs sur place Jean-Max Méjean et Hugo Dervisoglou.

Adieu Gutenberg, bonjour Orwell

On n’y croyait plus alors qu’on était confinés au fin fond de son appartement ou de sa chambre de bonne pendant ce qu’on a appelé pompeusement la pandémie. Mais voici quand même la deuxième saison du Festival de Cannes post-covid, la première ayant eu lieu exceptionnellement en juillet l’année dernière. Là il ouvre ses portes en fanfare ce mardi 17 mai pour sa 75ème édition. Le papy est encore très vert, la chaleur et le soleil sont au rendez-vous tout comme les queues interminables et les pinces-fesses de rigueur dans les espaces privatisés sur la plage. Rien n’a vraiment changé en fait et il y a encore plus de monde que d’habitude, semble-t-il, d’autant que, cet été, les vacances avaient quelque peu refroidi les ardeurs cinéphiliques. Mais qu’y a-t-il de nouveau ? Pas grand-chose sauf que le Carlton n’a toujours pas rouvert, que la salle du Soixantième s’appelle désormais salle Agnès Varda et que la billetterie est complètement dématérialisée, encore moins facile à utiliser que l’année dernière. Cela fait trois jours qu’on galère à s’inscrire sur l’application qui bugue lamentablement très souvent. Je passe en moyenne une heure par jour le matin à inscrire les films que j’aimerais voir et tout le monde en fait autant dès 7 heures, l’heure officielle et, du coup, embouteillages et bugs assurés. Bon à savoir, on ne peut s’inscrire que trois jours à l’avance et il faut attendre la réponse pour savoir si la demande a bien été prise en compte. Un conseil d’ami : utilisez plutôt l’application sur Smartphone ou iPhone car cela fonctionne mieux, et surtout plus vite, que sur un ordinateur lambda. Et n’oubliez pas de venir avec votre téléphone portable car les billets ne peuvent plus être imprimés, il faut montrer son QR code. Adieu Gutenberg, bonjour Orwell… Petit progrès : plus de masques obligatoires même s’ils sont vivement recommandés à l’intérieur du Palais et plus de QR code vaccinal…

Une Maman remastérisée pour un papy bien vert

Bref, parlons quand même un peu cinéma : les petits chanceux ont pu assister dans l’après-midi en salle Debussy au chef-d’oeuvre de Jean Eustache, La maman et la putain, en copie restaurée. Le film a 50 ans cette année, mais il est toujours aussi frais et enchanteur. Mais attention, il faut être patient et vraiment fan puisqu’il dure presque 4 heures. Mais c’est le plus bel hommage qu’on puisse rendre à un trio d’acteurs : Bernadette Lafont sublime dans le rôle de Marie ; Françoise Lebrun, quant à elle, incarne Veronika et on a pu l’admirer récemment dans un rôle de femme perdue et alzheimerienne chez Gaspar Noé (Vortex) où elle est bouleversante ; et Jean-Pierre Léaud, l’alter ego de François Truffaut qui crève encore une fois l’écran dans le rôle d’Alexandre. On y croise même Jean Eustache en client de supermarché. C’est beau, c’est émouvant, et ça plaira même aux milleniums.

Le soir, le choix est cornélien et, dans les deux cas, il a fallu encore être chanceux. Sur la plage, on pouvait voir ou revoir The Truman Show, un film de Peter Weir de 1998 et qui a donné lieu au motif de l’affiche du festival cette année sur laquelle, dans des tons bleus, on voit Jim Carrey gravir des marches virtuelles sur un fond de ciel peint sur lequel se dessine son ombre qui le suit comme un vieux vêtement. Film prophétique sur la télé-réalité dont on ne mesure pas vraiment encore les ravages qu’elle peut provoquer dans les esprits et les coeurs. Truman Burbank mène une vie calme et heureuse. Il habite dans un petit pavillon de la station balnéaire de Seahaven. Il part tous les matins à son bureau d’agent d’assurances dont il ressort huit heures plus tard pour regagner son foyer, savourer le confort de son habitat modèle, la bonne humeur inaltérable et le sourire mécanique de sa femme, Meryl. Mais parfois, Truman étouffe sous tant de bonheur et, la nuit, l’angoisse le submerge. Il se sent de plus en plus étranger, comme si son entourage jouait un rôle. Il se sent observé et pour cause, il est en direct à la télé…

Ne coupez pas !

Quant aux très très très chanceux, appelons-les les happy few, ils ont pu assister à la soirée d’ouverture avec tout le tralala de ce 75ème festival dans le prestigieux Théâtre Louis Lumière, suivi de la projection de Coupez ! de Michel Hazanavicius dont, pour ma modeste part, je n’ai pu voir qu’une bonne douzaine de fois la bande annonce. A vrai dire, ça ne m’a pas vraiment enthousiasmé. Mais sans doute qu’Hugo Dervisoglou qui a eu la chance d’y assister cette nuit, nous en dira un peu plus. Je lui laisse un peu de place. A demain, dormez bien. J’espère que j’aurai une place, et beaucoup de courage…, pour aller voir dès 9 heures demain matin Esterno Notte, le film série politique de cinq heures de Marco Bellocchio avec Toni Servillo.

Jean-Max Méjean

 

 

Effectivement, je suis chanceux d’avoir pu voir ce dernier Hazanavicius. Comme mon collègue Jean-Max Méjean, j’étais quelque peu sceptique face à ce film annoncé tambours et trompettes battants. La dernière œuvre de ce réalisateur, Le redoutable m’ayant, à l’époque, copieusement laissé sur ma faim. La faute, non pas tant à un très bon Louis Garrel incarnant Godard à merveille, qu’à un point de vue et une réflexion que je trouvais quelque peu hautaine et suffisante sur le cinéma godardien et son engagement… Quel plaisir que de voir son scepticisme renversé par un film que, je l’avoue volontiers, j’allais voir un peu à reculons : cela faisait longtemps que je n’avais pas ri ainsi durant une séance de cinéma. D’abord en raison de la structure même du film en trois actes montrant, pour commencer, une longue séquence d’une trentaine de minutes, mettant en scène un réalisateur avec sa petite équipe fauchée, attaqués par des zombies alors qu’ils tournent un film de… zombies. La seconde partie du film consiste en un flashback montrant la préparation de cette séquence par l’équipe du film. Puis, dans une partie finale, la troisième, sont dévoilées les coulisses du tournage de la séquence d’ouverture. Le tour de force de Coupez ! consiste ainsi à revoir la première demi-heure du film sous un nouvel angle, plus truculent encore que le maniérisme initial, et le film réussit ainsi la gageure de vous faire rire deux fois sur une même scène. Le spectateur est pris au piège de sa naïveté. Mais je n’en dirais pas plus sur le scénario car, même si vous êtes de ceux qui ont vu la bande-annonce du film une bonne douzaine de fois, ce dernier réserve pourtant quelques surprises… mais je ne voudrais pas gâcher vos éclats de rire. La recréation de l’univers décalé et kitsch de la série Z, durant le premier tiers du film, égaye par son sens du pastiche et donne l’opportunité à Hazanavicius de déployer son style vintage, celui déjà à l’œuvre dans OSS 117. Style qui, pour l’occasion, évoque forcément les George A. Romero et Dario Argento, le tout couplé à une véritable virtuosité technique, car tourné en un plan séquence d’une demi-heure. Mais toute l’esthétique qu’Hazanavicius déploie ne servirait pas à grand-chose, et le film ne fonctionnerait pas aussi bien, s’il n’avait pas une distribution aussi performante. Car Romain Duris, Bérénice Bejo et compagnie, offre sa véritable densité à Coupez !. Ces acteurs contribuent, par leur talent mutuel, à la réussite de la redite de la séquence initiale, comme à la montée d’une franche émotion. Hazanavicius montre ainsi toute la synergie et la conviction nécessaire pour réaliser un film, en nous émouvant au passage, grâce à une relation père-fille complexe. Le film oscille entre la satire, le second degré, le énième degré, la caricature et le pastiche. C’est un festival joyeux que l’on demanderait à voir plus souvent. Une bonne comédie dont l’originalité (au regard du cinéma actuel) réside en ce qu’elle possède un enjeu esthétique sur la base duquel l’humour naît et se dynamise. Je vais vous laisser ici pour ce soir, en espérant vous avoir donné, un peu, envie de voir ce film et vous dis à très vite…

Hugo Dervisoglou

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