Fando et Lis

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Un film de 1968. Difficile de ne pas y penser, tant le film porte en lui la marque de cet élan contestataire qui traversait le monde entier. Pourtant nous, spectateurs d’aujourd’hui, observateurs lointains appartenant à un temps où déjà quelqu’un proposait de balayer l’héritage de ce fameux mois de mai, nous pouvons y trouver encore […]

Un film de 1968. Difficile de ne pas y penser, tant le film porte en lui la marque de cet élan contestataire qui traversait le monde entier. Pourtant nous, spectateurs d’aujourd’hui, observateurs lointains appartenant à un temps où déjà quelqu’un proposait de balayer l’héritage de ce fameux mois de mai, nous pouvons y trouver encore quelque chose de vif, troublant, signifiant, dérangeant… Quoi et pourquoi ?

Certainement le film se veut provoquant : à l’époque de sa sortie, aucun doute, il fut même choquant ! Fando et Lis, deux jeunes amoureux, se mettent à la recherche d’une ville fantastique appelée Tar : sorte de terre promise où toutes les souffrances disparaissent. Cette ville est clairement le rêve d’un nouveau monde possible, d’une nouvelle société plus juste mais fantastique, distante de toute idéologie, y compris celle du socialisme. C’est la société dont la jeunesse de l’époque rêvait. Le « schéma narratif » est donc clair et simple à comprendre (d’ailleurs il restera plus ou moins le même dans les films suivants et reviendra dans de nombreux films de l’époque : voir par exemple « Promenade avec l’amour et la mort » de John Huston, 1968). Mais ce parcours d’initiation à la liberté se révèle être plus difficile que prévu. On en ressent toute la fatigue par une idée aussi simple que forte : Lis est paralysée et littéralement transportée, à travers les cadres, par Fando.

Le décor nu et défroqué dans lequel se situe le parcours des deux héros détache les images d’un quelconque possible référent au réel, et pose l’histoire en dehors d’un temps ou d’un lieu précis. On assiste à une sorte de rêve halluciné où tout se mélange : souvenirs d’enfance de Fando & Lis, violence, sexe, espoir, péché. La structure est celle d’un conte religieux, la division en chapitres participe à renforcer ce lien.

Le film s’ouvre avec un travelling qui, partant d’un plan d’ensemble, recadre en gros plan Lis allongée sur son lit, dégustant une fleur. Tout est dit : l’appareillage symbolique de Jodorowsky est déjà mis en place. Dans ce film, tout est à interpréter, déchiffrer, traduire en quelque sorte. On arrive parfois à deviner assez facilement la réalité sociale ou politique qui se cache derrière certaines scènes (l’opulence bourgeoise, la domination de la femme et le marché de son corps etc.), mais ça n’est pas toujours le cas. De toutes façons, nous ne voudrions pas ici chercher à décrypter le film, mais plutôt à voir en quoi il représente, aux yeux des passionnés du cinéma, une oeuvre qui mérite une attention particulière. Parce que, à notre avis, au-delà de la symbolique un peu rhétorique et pédante et au delà de la violence et de la provocation des situations filmées, c’est la maîtrise exceptionnelle des outils cinématographiques qui rend ce film si fort et intéressant. Pour être plus précis, c’est le montage et sa capacité à produire du sens par le rapprochement d’éléments différents qui donnent ici aux images toute leur force et qui produisent une pensée.

Le montage comme principe, non seulement entre deux plans, mais aussi à l’intérieur d’un même plan entre les différents éléments visuels, et surtout entre les images et les sons. Pour comprendre la force de ce rapprochement, nous, qui avons la chance de pouvoir regarder le film en DVD, n’avons qu’à tenter une expérience : baisser le son à certains moments. Le film nous apparaîtra différemment. Le son ici n’est pas simplement utilisé pour accompagner les images. Bien au contraire, le son se heurte, enrichit, « complète » les images, produit de la signification, active la compréhension du spectateur ; c’est parfois lui, plus que l’image, qui nous fait détourner le regard de l’écran (je pense au son des mouches, qui envahit littéralement le film, surmontant les dialogues et les images eux-mêmes, en rendant presque insoutenable la vision) !

Tout ce système de rapprochement et de mise en relation du son et de l’image aboutira dans les deux films suivants, El Topo et La Montagne sacrée. Dans ce film, on a quelques fois l’impression que le cinéaste se cherche encore un peu, et qu’il n’arrive pas à « doser » ses effets, frôlant la limite du « grossier » ou grotesque. La composition du cadre est moins soignée que dans les films suivants, étant aussi contrainte partiellement par le manque de couleurs, qui constitueront ensuite un élément de première importance dans le cinéma de Jodorowsky.

Il n’en reste pas moins intéressant de profiter de l’occasion de revoir ce film pour comprendre la démarche d’un cinéaste qui marquera à sa façon l’histoire du 7ème art.

Titre original : Fando y Lis

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Durée : 93 mn


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