Eureka (1984)

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La vie, l’amour, l’ambition et la mort deviennent un poème violent et hypnotique sous la férule de Nicolas Roeg.

Cinquième film de Nicolas Roeg, Eureka apporte une nouvelle preuve de sa singularité avec cette histoire en apparence plus « classique » que ce à quoi il avait habitué, mais à nouveau narrée de manière anticonformiste. Le film adapte le livre Who Killed Sir Harry Oakes? de Marshall Houts, inspiré de l’un des crimes les plus mystérieux (et irrésolu) qui soit : la mort du milliardaire Harold Oakes. L’ aventurier chercheur d’or fait fortune en 1912 avec la découverte d’une mine d’or dont il réussit à la force du poignet à conserver le contrôle et faire fructifier. Bien des années plus tard, milliardaire et réfugié aux Bahamas pour échapper au fisc, il est assassiné de la manière la plus barbare qui soit, brûlé vif et décapité. Son beau-fils sera accusé, jugé puis acquitté, faisant du meurtre d’Oakes une des plus grandes énigmes criminelles de son temps.

Nicolas Roeg suit très fidèlement la tournure des évènements telle qu’on la connaît (même s’il modifie les noms et les dates) mais comme toujours avec lui, le résultat final ne ressemble à rien de connu. Le film s’ouvre dans un pur enfer blanc enneigé où Jack McCann (Gene Hackman) oppose sa volonté de fer à la fureur des éléments avec un objectif inébranlable : trouver un filon d’or. Roeg instaure une vraie atmosphère fantastique et cauchemardesque où McCann doit abandonner toute humanité pour survivre, renoncer à l’amour et l’amitié pour achever sa quête. Les visions dantesques s’enchaînent avec un traumatisant et très graphique suicide, des loups qui comme effrayés par la détermination de Jack renoncent à le dévorer et bien évidemment la découverte de la fameuse mine. Là, Roeg déploie une symphonie visuelle, un tourbillon sensoriel par son sens du montage où Jack devient soudain le centre de l’univers, tout puissant et comblé. Ce qui avait demandé deux heures boursouflées au Terrence Malick de The Tree of Life (2011) est ici atteint en un magistral moment de cinéma. On ne le sait pas encore mais le climax du film vient déjà de se dérouler avec ce qui sera le moment le plus exaltant de l’existence de Jack.

Nous le retrouvons ainsi bien plus tard, vieil homme riche et repu, vivant dans l’opulence de son île Eureka. Cette volonté et cette hargne qui l’ont maintenu en vie dans les neiges hostiles se sont estompées et il semble avoir perdu toute raison de vivre. Pourtant autour de lui avance la jeune génération, tout aussi exaltée qu’il le fut jadis dans sa quête de réussite. Cela se manifeste par un homme d’affaires mafieux incarné par Joe Pesci souhaitant lui racheter un terrain pour construire un casino, voire même sa propre fille (Theresa Russell) qui le défie dans la passion qu’elle voue à un homme qu’il méprise (Rutger Hauer). Roeg élève magnifiquement son récit au-delà du crime sordide servant de postulat de départ pour une réflexion sur l’ambition, le sens de la vie. Le rythme se fait boiteux à l’image de l’existence de cet homme qui s’est arrêté, et Roeg délivre à nouveau des moments extrêmes et expérimentaux dont il a le secret pour illustrer ses thèmes. On retiendra un étouffant et hystérique rituel vaudou, et surtout, l’incroyable séquence d’assassinat de Jack qui même en partie censurée par le studio est aussi insoutenable que fascinante. L’apparition furtive d’une boule à neige évoque Citizen Kane (1941), là encore un faux biopic qui partait complètement ailleurs, et fait le lien avec le souvenir le plus joyeux de leur personnage principal. Lorsque la fin approche, ses hommes puissants et tyranniques n’aspirent plus qu’à retrouver l’innocence de leur enfance semble nous dire Roeg comme Orson Welles avant lui.

Gene Hackman, intense ou totalement éteint est absolument incroyable et le film ne retrouve plus cette hauteur une fois son personnage disparu. Le procès, les atermoiements du couple Rutger Hauer/Theresa Russell, tout cela s’avère bien moins passionnant et surligne ce que l’on avait saisi sans explications (Jack a organisé son propre suicide) même si de beaux moments demeurent comme ce dialogue suspendu et hors du temps dans le tribunal. La conclusion semble suggérer que seuls ceux n’ayant pas encore réalisé leur rêve ou déterminé leur nature sont destinés à vibrer encore (le personnage le plus instable s’envolant vers d’autres cieux) les autres n’ayant plus que la solitude. Sans atteindre la magie de Walkabout (1970) ou le malaise de Ne vous retournez pas (1973), Nicolas Roeg signe là une de ses grandes réussites.

Titre original : Eureka

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Durée : 130 mn


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