Entretien avec Yanis Koussim

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Jean-Pierre Lledo projette son dernier film sur l’Algérie. Et quid de la nouvelle génération de cinéastes algériens ? Rencontre avec l’un des plus prometteurs, Yanis Koussim

La dernière histoire de Yanis Koussim est belle. Une rencontre entre deux algériennes qui n’ont a priori aucun point commun, l’une (Lamia) étant une interne en psychiatrie de 28 ans clairement libérée, l’autre (Salima) jeune femme ayant vraisemblablement toujours vécu recluse dans son quartier. La rencontre se fera à la suite de l’internement de Salima qui prise de folie ou de désir, vole une voiture pour découvrir la capitale de nuit. Un dialogue s’installe entre les deux jeunes femmes. Salima s’insurge de son internement. Son discours s’éparpille dans toute la salle : « Si je suis là, c’est parce que je suis une femme. Si j’avais été un homme, on m’aurait mis en prison ». Silence de Lamia qui au fil de la conversation se rapprochera de sa patiente. Le film s’appelle Khti et il sera bientôt disponible sur Internet.

Lorsque l’on observe attentivement votre parcours scolaire, rien ne nous donne à croire que vous deviendriez cinéaste. D’où est venue cette envie de vous exprimer avec des images ?

Sérieusement, je ne crois pas que l’amour du cinéma vienne de l’école, surtout l’école algérienne qui ne donne presque aucune place au cinéma (du moins à mon époque), même si j’ai eu d’excellents profs qui nous en ont parlé de temps en temps. La première fois que j’ai vu un film au cinéma, c’était à Sétif, le film, Les Dents de la mer. J’avais 4 ou 5 ans. J’ai vu ce film a travers les doigts de mon père qui avait plaqué sa main contre mes yeux durant presque tout le film… c’est surtout lui qui avait peur !!!!! Mais c’est à Paris, lors des vacances scolaires, que mes parents m’ont fait découvrir le cinéma. Si je dois comparer mon enfance à l’univers d’un réalisateur, ce serait celui de Spielberg, je ne sais pas si j’aurais un jour son talent, mais ce qui est sur c’est que je suis l’un de ses enfants, et que c’est par lui et ses films que j’ai eu envie de faire du cinéma. C’est aussi par lui qu’on m’a expliqué et appris, pour la première fois, ce qu’est un réalisateur.

On dit souvent que l’Algérie est un pays majoritairement cinéphile, contrairement à ses voisins tunisiens et marocains. Vous vous sentiez cinéphile avant de prendre une caméra ?

Nous avions eu la vidéo très tôt à la maison, et tous les jeudis, ma sœur et moi attendions que mon père revienne de son match de foot pour nous emmener à la vidéothèque pour louer un film, un film chacun ! Nous avions aussi des voisins, un frère et une sœur, qui faisaient la même chose, et nous échangions les films. Ce qui fait que durant 6 ans, j’ai du voir 4 films par week-end. A savoir si je me sentais cinéphile ? Oui, sans même savoir que le mot existait ! Et nous l’étions tous, dans ma famille, et dans mon entourage. Et comme je l’ai dit plus haut, à chaque fois qu’on allait à Paris avec mes parents, ils me faisaient faire une véritable cure de cinéma, et pas que des films pour enfants. Plus tard, quand je leur ai annoncé que je voulais faire du cinéma, et non reprendre le cabinet d’avocat de mon père, une de mes cartes maîtresse pour leur faire avaler la pilule a été « de toute façon, c’est de votre faute, fallait pas me faire aimer le cinéma ! »

Vous avez été correspondant pour deux importants quotidiens. Est-ce que cela fut une sorte de tremplin à filmer le visage humain ?

Disons que cela m’a surtout permis d’écrire, et d’acquérir une facilité d’écriture. Je ne vous cache pas que parfois, je mettais en scène mes articles, mais cela est une autre histoire…

Est-ce que le fait d’avoir étudié les sciences de la nature et de la vie vous a motivé à filmer la condition humaine sous toutes ses formes ?

J’ai passé un bac Science car en Algérie, le bac lettre est réputé être celui des ratés ! Et comme j’étais plutôt bon élève, mes profs m’ont presque obligé de passer un bac Science. Mais des que je l’ai eu, j’ai repassé le bac lettre en candidat libre, et je l’ai eu avec mention, ce fut la plus belle année de mon cursus scolaire. Mais rien de ce que j’ai appris à l’école algérienne ne m’a fait devenir ce que je suis. Et si j’ai eu quelques profs vraiment géniaux, c’est d’eux en tant que personnes que j’ai appris. L’école algérienne de mon temps ne faisait rien de toi. Si tu voulais apprendre des choses, il fallait te retourner plutôt vers ton entourage. Moi j’ai eu la chance d’avoir une famille formidable, des parents universitaires, très cultivés et qui lisent beaucoup. Ma mère est issue d’une grande famille d’intellectuels de la vallée de la Soummam, ses deux grands-pères étaient déjà directeurs d’écoles au début du siècle dernier. Son père Mohand Ameziane Zeghlache (mon grand-père) a été pour moi un mentor, c’est lui qui m’a fait découvrir la littérature, française surtout, mais aussi l’amour du savoir sous toutes ses formes… C’est à tout ce beau monde que je dois d’être un jeune homme curieux de la vie et des choses qui l’entourent.

Vous avez travaillé en tant que correspondant pour des quotidiens, vous écrivez des nouvelles, vous réalisez des films et vous collaborez pour la télévision. Du haut de vos (bientôt) trente ans, vous rêvez de conquérir le monde ?

Je rêve avant tout de conquérir l’Algérie et les Algériens. Ce peuple chaud et intelligent qu’on laisse pousser comme une plante sauvage. J’aime les Algériens, j’en suis un. On peut dire ce qu’on veut des gens de mon pays, mais moi je sais ce qui est vrai. Je sais que nous sommes un peuple insoumis, même si l’on pense nous soumettre, un peuple libre, même si l’on pense nous brider. Je veux faire des films pour les gens de mon pays, pour qu’ils se reconnaissent dans mes images, je suis des leurs et ils sont miens. Nous rirons ensemble de nos travers et nous réfléchirons de concert à nos problèmes. Le reste du monde ?…hé bien, pourquoi pas ? Après…

Vous avez commencé à écrire un scénario sur Tichy, en 1999, à l’âge de 22 ans. Qu’en est-il de ce projet non filmé ?

Sérieusement, TICHY est une histoire qui me tient particulièrement à cœur, car elle met en scène des êtres qui me sont chers, et l’histoire se passe dans la région ou j’ai passé mes grandes vacances durant presque 20 ans. Mais ce film n’a pas encore sa place dans le Cinéma Algérien.

De courts-métrages en documentaires, vous vous êtes adonné à l’assistanat (Khodja, Touita, Charef, Herbiet). D’abord, comment avez-vous saisi cette opportunité ? Et ensuite, qu’avez-vous appris avec ces 4 cinéastes aux tempéraments et à la mise en scène diverse ?

Je ne vais pas faire mon hypocrite, et dire, pour faire « genre » que cela a été difficile pour moi d’accéder au poste d’assistant… en réalité, cela n’a pris le temps que d’un coup de fil ! Mon père et ma mère étaient à la fac centrale d’Alger en même temps que Yazid Khodja, c’est donc ainsi que je me suis retrouvé sur le tournage du film Si Muhand U M’Hand. Par contre, il fallait faire ses preuves, encore plus pour un pistonné comme moi ! Je ne sais pas si c’est mon savoir faire, ou le fait que je sois devenu très vite le chouchou de la directrice de production (rire), mais je suis resté, et à chaque fois que je vois le film et qu’on me dit que les figurants (que j’ai réunis pour chaque scène, ou presque) sont bien, j’ai une pointe de fierté. C’était la première fois que je mettais le pied sur un plateau, et on me dis que j’ai quand même assuré ! Pour ce qui est de l’autre partie de la question, sérieusement, a part Charef dont je trouve le cinéma proche de celui que je veux faire (même si je n’ai côtoyé Mehdi qu’une dizaine de jours) c’est surtout des techniciens que j’ai le plus appris ! Comment on organise un tournage, le plan de travail, comment on compose un plan, pourquoi bien percher est primordial, les raccords, les mouvements de camera…etc. Mais le plus important, c’est que dès le premier tournage sur lequel j’ai bossé, mon envie de cinéma n’a cessé de croître! Il parait que c’est un passage, un examen que de bosser sur le tournage d’un long quand on veut réaliser. Si après 8 semaines de stress, de nuits courtes et de tempéraments pas toujours évident à gérer, on veut toujours faire du cinéma, c’est qu’on le veut vraiment ! Faire du cinéma est un vrai métier, c’est très physique ! Je crois que c’est Stanley Kubrick qui avait dit un jour que la première qualité d’un réalisateur était la santé et la forme physique. Par la suite, pour ma part en tout cas, j’ai eu de la chance en rencontrant des personnes qui m’ont vraiment inspiré dans mon envie de faire ce métier: Des pointure tels que Mohamed Chouikh et Mina Bachir, des légendes tels que Michèle et Costa Gavras, mais aussi des réalisateurs de la nouvelle génération, un surtout, pour lequel j’ai une grande admiration, et qui est un modèle de savoir faire que je voudrai atteindre, et dépasser, pourquoi pas (rires) : il s’agit de Nadir Moknèche.

La télévision vous a proposé ses services. Avec le cinéma, ce sont deux mondes différents. Ecrire pour la TV vous a-t-il posé des contraintes? En tirez-vous une bonne expérience?

En Algérie, il ne faut surtout pas importer la guéguerre qui existe ailleurs entre cinéma et télé, pour le moment du moins. Vu le manque de salles en Algérie, la télé reste le seul moyen de grande envergure pour s’exprimer en image et toucher le maximum de gens. Mais il est vrai qu’il y a un problème à la télé, moi je ne comprends vraiment pas comment, avec les moyens dont dispose L’ENTV (Entreprise Nationale de Télévision), avec les talents que je croise continuellement à Alger et ailleurs, je ne comprends pas comment on s’arrange pour produire, ou proposer des produit aussi insipides que ceux que nous voyons sur notre chaîne « bien aimée » ! Le comble, c’est que le PDG de la télé algérienne est vraiment un homme bien, d’une culture immense, parfaitement bilingue et d’un caractère très affable! Je ne comprends pas, y a un « bug » quelque part! Des fois, j’ai envie d’aller au 21, boulevard des martyres et de crier à tous « MERDE! FAITES DU BON BOULOT YA DINE ERRAB! VOUS EN ETES CAPABLES ! » Bien sûr, je ne parle que des séries et autres téléfilms, car côté émission, je trouve en toute franchise que L’ENTV a fait de magnifiques progrès! Je pense vraiment que L’ENTV gagnerait à collaborer avec la génération émergente de cinéastes et scénaristes, tout le monde se plaint du manque de scénarios, mais personne ne vient nous en commander! Je ne dis pas qu’on est meilleur que les autres, mais tant qu’on ne nous a pas essayé, personne ne le saura! Ce que je sais par contre, c’est que l’un des plus grands succès télévisuels algériens, Nass M’lah city 2 et 3, a été écrit par deux jeunes scénaristes… Nass M’hlah city 3 a été pour moi un véritable tremplin quant à ma crédibilité professionnelle en Algérie, mais surtout un baromètre pour mesurer ce qui plait ou pas aux Algériens. Et quand l’envie d’étrangler les deux producteurs de la série me passe (les choses se sont très mal passé avec les deux) je trouve vraiment que nous avons fait du bon boulot, et les algériens nous le rendent bien! Pas plus tard qu’hier, j’étais en soirée, un jeune homme a lancé une des répliques que j’avais écrite pour Marie Dang dans La mariée importée : « Touklou Rrahdj ». J’étais aux anges! Oui, des trucs que tu as écrits dans ton coin, récupérés par le langage populaire, c’est le plus beau cadeau pour un scénariste!

On vous sent décidé, en lisant votre CV, à reprendre là où le cinéma algérien a déposé ses armes…

Je ne sais pas où le cinéma algérien a déposé ses armes, et sérieusement, cela ne m’intéresse point! Ce que je veux c’est faire des films, ceux que je voudrais voir en tant que cinéphile, et non parler du passé, glorieux ou pas, de notre cinématographie, ni d’essayer de démêler le pourquoi du comment de son déclin, cela ne nous avancera à rien ! Je veux aussi que d’autres puissent faire leurs films, et pour cela, nous sommes un groupe qui avons décidé de nous battre pour y arriver!

Depuis quelques années, le cinéma algérien se filme de l’étranger, de nombreux cinéastes beurs filment inlassablement leurs origines.

Oui, tout a fait, et c’est grâce a leurs tournages, qui sont toujours des coproductions, que nous avons pu travailler et voir comment se fait un film! Nous avons pu aussi approcher des techniciens très compétents, qu’ils soient algériens ou étrangers ! Grâce a eux également, on s’intéresse à nous, et a ce qu’on veut montrer a travers les films qu’on va faire!

Quel serait le projet le plus fou que vous aimeriez réaliser ?

Je ne sais pas si c’est un projet « FOU »…Un peu quand même (rires) et en réalité y’en a deux :
A- Réaliser le film Léon l’Africain, du livre éponyme d’Amine Maalouf.
B- Ecrir et réaliser un James Bond, dont je suis fan depuis que je suis tout gamin!

Après Khti, que comptez-vous faire ?

Mystère, Mystère…Mais déjà finir L’antenne, un court que j’ai tourné juste avant Khti!

Un long peut être ?…

Je l’espère bien!(rires)


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