Ensemble c’est trop

Article écrit par

En ratant sa nouvelle comédie, Léa Fazer confirme que le vaudeville est un exercice périlleux. Qui requiert finesse plutôt que caricature. Dommage pour Jocelyn Quivrin et Aïssa Maïga, tous deux attachants.

Mazette, quel casting ! C’est, semble-t-il, l’argument de choc (le seul) de cette comédie familiale, produite par l’aimable Alain Chabat, celle-là même qui, à grands renforts de clins d’œil à "la France d’aujourd’hui", nous narre péniblement les contrariétés d’un couple de trentenaires, parisiens et légèrement inhibés, en butte aux excentricités de leurs parents sexagénaires, donc soixante-huitards et décomplexés.

C’est sûr, pour son troisième film, la réalisatrice Léa Fazer se souvient au moins d’une chose: elle vient du théâtre. De fait, elle a su fédérer autour d’elle une troupe de comédiens aguerris aux jeux de scène sinon de hasard (Pierre Arditi, Nathalie Baye, Jacques Weber), talonnés par une paire de jolis dribblers (Aïssa Maïga et Jocelyn Quivrin, dont c’est le dernier ouvrage). Voire par une véritable icône, Eric Cantona : sa tendre étrangeté suffisant à le faire exister, au beau milieu de cette effervescence hystérique. Tout est donc soigneusement calibré.

Le hic, c’est que la souriante Léa Fazer, décidément en veine de théâtralité, a choisi de teinter sa comédie "sociétale" des couleurs périlleuses du vaudeville. Mais en version involontairement "vintage", lorgnant du côté du fameux ‘"Au théâtre ce soir" de Roger Harth et Donald Cardwell (pour mémoire, l’une des émissions les plus populaires de l’ORTF des années 60 et 70) plutôt que de celui, plus enlevé, plus avantageux, d’un Feydeau mis en scène, au hasard, par Alfredo Arias. Et que je te balance, ici, dans cet Ensemble c’est trop incroyablement poussif, une accumulation benête de gifles, de chutes, de portes qui claquent, de quiproquos, d’accidents censément burlesques, de mouflets qui pleurent ou d’amant(e)s dans le placard : en somme de catastrophes toutes plus tirées par les cheveux (ce qui n’est pas grave en soi, au contraire) et balourdes (entendez convenues, voire paresseuses, et là c’est plus embêtant).

Cabotinage

La scène d’ouverture du film, qui permet de découvrir l’infidélité du mari (une petite culotte suspecte dans la poche de son veston, tiens donc), en même temps qu’elle décline l’identité et la fonction de chaque personnage (la mère, le fils, le cousin, etc.) est tout à fait représentative de l’ambiance générale : ça flotte d’emblée du point de vue du rythme, et, surtout, ça surjoue… comme dans le théâtre de boulevard de seconde zone, lorsqu’il s’agit d’appuyer chaque effet, au cas où les spectateurs du dernier rang auraient raté une réplique, un gag, un changement de décor, que sais-je… C’est bien simple, à côté des outrances de Nathalie Baye et Pierre Arditi, le cabotinage de feu Michel Roux – grand expert en la matière – frôlait la distanciation brechtienne !

Ensemble, c’est trop ? Oui, en effet : d’autant que cette surcharge contamine aussi bien les décors et les couleurs (on a juste mal aux yeux, n’est pas Almodovar qui veut), que les situations (entre le couple gay et le couple mixte, on dirait un véritable catalogue…) ! C’est dommage : en dépit de tous ces obstacles, le jeune duo trentenaire, interprété tout en finesse et en retenue par Jocelyn Quivrin et Aïssa Maïga, parvient à tisser, ça et là, par bribes, une histoire autrement plus juste. Celle de jeunes adultes qu’une société plus âpre, moins joyeuse que celle de leurs parents, condamne au mieux, à l’autodénigrement et, surtout, à la peur d’agir, voire d’entreprendre.

Titre original : Ensemble c'est trop

Réalisateur :

Acteurs : , , , ,

Année :

Genre :

Durée : 96 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

L’étrange obsession: l’emprise du désir inassouvi

L’étrange obsession: l’emprise du désir inassouvi

« L’étrange obsession » autopsie sans concessions et de manière incisive, comme au scalpel ,la vanité et le narcissisme à travers l’obsession sexuelle et la quête vaine de jouvence éternelle d’un homme vieillissant, impuissant à satisfaire sa jeune épouse. En adaptant librement l’écrivain licencieux Junichiro Tanizaki, Kon Ichikawa signe une nouvelle « écranisation » littéraire dans un cinémascope aux tons de pastel qui navigue ingénieusement entre comédie noire provocatrice, farce macabre et thriller psychologique hitchcockien. Analyse quasi freudienne d’un cas de dépendance morbide à la sensualité..

Les derniers jours de Mussolini: un baroud du déshonneur

Les derniers jours de Mussolini: un baroud du déshonneur

« Les derniers jours de Mussolini » adopte la forme d’un docudrame ou docufiction pour, semble-t-il, mieux appréhender un imbroglio et une conjonction de faits complexes à élucider au gré de thèses contradictoires encore âprement discutées par l’exégèse historique et les historiographes. Dans quelles circonstances Benito Mussolini a-t-il été capturé pour être ensuite exécuté sommairement avec sa maîtresse Clara Petacci avant que leurs dépouilles mortelles et celles de dignitaires fascistes ne soient exhibées à la vindicte populaire et mutilées en place publique ? Le film-enquête suit pas à pas la traque inexorable d’un tyran déchu, lâché par ses anciens affidés, refusant la reddition sans conditions et acculé à une fuite en avant pathétique autant que désespérée. Rembobinage…