Douze hommes en colère

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D´après un scénario de Reginald Rose, l´intrigue de « Douze hommes en colère » démarre à la fin du procès, aux États-Unis, d´un jeune homme suspecté du meurtre de son père.

Dès les premiers plans, le cadre s’installe. Le jury, composé de douze hommes, se lève et se dirige vers une salle de délibération où ils doivent ensemble discerner l’innocence ou la culpabilité du prévenu. Dans le film, la sentence prévue est la mort par pendaison.

Le huis clos, une contrainte nécessaire

L’intrigue se déroule dans une même unité de lieu. Une fois que les jurés sont tous rentrés dans la salle de délibération, un membre du personnel judiciaire ferme à clé la salle, ce qui officialise le caractère secret de la délibération. L’un des jurés réagit et commente à son voisin qu’il ne pensait pas que c’était aussi sérieux. Le huis clos renforce la solennité de la prise de décision du jury. Tous devront être en phase autour d’une seule décision : guilty or not guilty. Sidney Lumet joue de l’exiguïté des lieux pour se concentrer sur les personnages. Il multiplie les plans rapprochés sur les visages afin d’accentuer les émotions de chacun. Tout ce dispositif sert une mise en tension des échanges. Au moment du tournage, il n’existait peut-être pas de statistiques sur le système du jury. Actuellement, presque 30% des Américains ont déjà été juré au moins une fois dans leur vie. C’est un système de justice exceptionnel tant par son ampleur que par sa dimension sociale. Contrairement à des magistrats professionnels, les jurés sont souvent néophytes et désintéressés. Rendre justice ne les intéresse pas naturellement.

Au début du film, lors du tour de table, onze des douze jurés ont voté coupable, dont certains pour en finir rapidement, la responsabilité étant avant tout vécue comme une contrainte dont on veut se défaire au plus vite. Le fait de maintenir dans un espace réduit autant de personnes renforce cette impatience d’en finir. Sidney Lumet multiplie les scènes qui rompent le calme ambiant. Un juré s’emporte, s’isole, se lève, bouge, ou tout le monde parle dans un brouhaha assourdissant. Comme dans une cage, les félins tournent et s’agitent. Se tancent et s’énervent. S’excusent et se contredisent. Ce huis clos respire et transpire dans une mise en scène simple et bouillonnante. Un classique tant par le fond du sujet que par l’exercice de style de sa mise en scène.

 

La délibération du jury, prétexte à une fresque sociale

 

Sous une chaleur étouffante, les douze hommes arrivent dans une petite salle, avec une table au milieu où ils doivent s’installer. Mais ils ne savent pas exactement où s’asseoir. Chacun se regarde. Certains entament une conversation, ou s’approchent de la table. D’autres fuient vers les toilettes. D’emblée, Sidney Lumet pose le cadre. Tout le monde est mal à l’aise dans cette salle étroite. Si le réalisateur s’attarde autant sur l’installation des douze jurés, c’est qu’elle revêt une symbolique essentielle. Le procès n’est qu’un prétexte. Ce n’est d’ailleurs pas la question de la vie ou de la mort d’un jeune homme qui intéresse le réalisateur. Il préfère la psychologie des jurés : douze hommes, d’apparence assez ordinaire, tous habillés en costume. Ils sont onze à penser la même chose, le jeune homme est coupable. Un des jurés, interprété par Henry Fonda, ne pense pas forcément le contraire. Il tente d’établir une discussion sur les faits du procès. Plus il pose de questions, plus les autres s’énervent.

 

C’est d’ailleurs au fil des discussions que se dessine le résumé du procès et des faits. Plus le débat avance, plus le voile de chaque personnage tombe. On apprend que l’un des jurés ne voit plus son fils aîné depuis deux ans, que l’un est dessinateur ou financier, que l’autre est d’origine modeste et a grandi dans des quartiers pauvres. La conclusion de la discussion n’est pas le plus intéressant. Ce qui anime Sidney Lumet dans ce film, c’est cette rencontre entre hommes, où les préjugés de chacun se trouvent mis à mal. La vraie démocratie est ici. Celle qui décloisonne et qui enrichit chacun, même de force. Chacun a sa vérité. C’est d’ailleurs ce que scande Henry Fonda : « It’s always difficult to keep personal prejudice out of a thing like this. And wherever you run into it, prejudice always obscures the truth. I don’t really know what the truth is. I don’t suppose anybody will ever really know » (« Il est toujours difficile de se prémunir contre ses préjugés personnels sur un tel sujet. Et partout où ils sont présents, les préjugés obscurcissent toujours la vérité. Je ne sais pas vraiment qu’est ce qui est vérité. Je ne pense pas que quiconque saura jamais vraiment »).

Ce n’est pas l’issue du sort dramatique du jeune prévenu qui est fascinante dans le film. Pas plus que le spectre d’une erreur judiciaire. On n’aperçoit que rapidement le prévenu au début du film. C’est davantage la façon dont chacun accepte de changer d’avis, de s’enrichir par le débat. Certains résistent jusqu’au bout. D’autres plus ouverts acceptent plus facilement. L’un d’entre eux change même plusieurs fois d’avis, choquant d’autres par son manque de conscience. Le miracle du film réside dans la mise à nu collective de la conscience de chacun. Loin de toute superficialité, dans un discours humaniste, Douze hommes en colère nous ramène à l’essence de l’homme. Dans sa diversité autant que dans sa complexité.

Ce qui étonne toutefois, c’est l’absence de mixité femmes/hommes dans le jury. On peut comprendre que le fait de ne pas mélanger les genres permet d’éviter toute pollution dans le débat (séduction). Mais Sidney Lumet aurait pu prendre douze femmes dans ce cas. Peut-être a-t-il considéré que la colère est davantage un trait d’humeur masculin.

Le doute légitime, outils de lutte contre les préjugés

Quand il peint sa fresque sociale, Sidney Lumet n’utilise qu’une seule palette, le doute raisonnable, mais avec autant de couleurs que d’individus. Ne serait-ce que dans la lecture du film. Contrairement à Autopsie d’un meurtre (1959) d’Otto Preminger sorti peu de temps après, le film ne présente pas une étude juridique de cas détaillé. Sidney Lumet détaille sommairement le principe du système judiciaire américain. Un jury ne peut rendre un verdict de culpabilité que si le prévenu succombe entièrement dans la charge de la preuve. Il ne doit pas subsister de doute légitime quant à la culpabilité du suspect. Il n’est pas possible qu’il soit innocent. Henry Fonda le résume aux autres jurés : « We have a reasonable doubt, and that’s something that’s very valuable in our system. No jury can declare a man guilty unless it’s sure »Nous avons un doute légitime, et c’est quelque chose qui est très précieux dans notre système. Aucun jury ne peut déclarer un homme coupable à moins qu’il n’en soit sûr »).

Certains ont vu dans Douze hommes en colère un plaidoyer contre la peine de mort. Le débat est pourtant relativement peu présent, eu égard à la dimension du film. Il ne constitue pas le leitmotiv essentiel. La fin du film ne montre même pas le prononcé du verdict. Le film se termine sur les marches du palais de justice où chaque juré repart comme on sort d’une salle de cinéma. Le débat est concentré sur la notion de doute raisonnable. Plus le film avance, plus le doute s’installe dans l’esprit des jurés. « We nine can’t understand how you three are still so sure » (« Nous, neuf jurés, ne pouvons comprendre dans quelle mesure vous trois pouvez être aussi sûr »), martèle Henry Fonda aux jurés en faveur de la culpabilité. Les jugements préconçus qu’avaient les jurés disparaissent. Derrière cette représentation, Sidney Lumet démontre progressivement que les préjugés peuvent être destructeurs. Sans l’intervention de l’ange Henry Fonda, les onze jurés auraient, sans questions ni réflexions, rendu un verdict létal pour le jeune prévenu.

L’un des jurés, assez âgé, stigmatise le mal que peuvent causer les préjugés. Il décrit le prévenu comme le stéréotype d’un jeune délinquant marqué par une condition sociale pauvre et en proie à une délinquance évidente. Pendant son discours, tous les jurés se lèvent un à un pour montrer l’opposition à ce qu’il raconte. Derrière cette symbolique, Sidney Lumet marque son attachement à lutter contre les préjugés. Une société tolérante ne peut se nourrir de cette attitude irresponsable et néfaste.

Dans sa démonstration, la tension entre les jurés devient palpable. Le titre en est assez évocateur : Douze hommes en colère. La colère ne semble pas provenir uniquement des jurés. Dans le montage et la présentation des arguments, Sidney Lumet diffuse sa rage contre les préjugés en rendant les personnages qui l’incarnent pathétiques ou sans intérêt. Là réside intrinsèquement le plaidoyer intemporel du film qu’il faut retenir : une colère contre les préjugés.

Titre original : Twelve Angry Men

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Durée : 95 mn


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