Apparition, disparition
Nimbé d’apparitions, de lenteurs, d’ombres et de brouillards, ce film attachant ne manque pas de qualités. Il est mystérieux, tout en gardant une dimension complètement politique sur le monde actuel de plus en plus profiteur, manipulateur et exploiteur. Dans les montagnes tropicales du Costa Rica, Domingo qui a perdu sa femme, vit seul avec sa fille tout proche qui tient un petit restaurant. Il possède des terres et des entrepreneurs sans scrupule sont décidés contre vents et marées à y faire passer une autoroute. Du coup, ils veulent déposséder et intimider à coups de carabine les habitants. Ceux-ci fuient les uns après les autres. Presque seul, Domingo fait de la résistance, non parce qu’il tient à la vie et à ses terres, mais parce qu’elles contiennent un secret mystique. Tout le film joue d’ailleurs sur le non-dit, le silence, l’invisible, le mystère et c’est proprement envoûtant.
Espaces et solitude
Monteur et réalisateur, Ariel Escalante Meza a déjà monté plus de dix et remporté un prix à Moscou pour son premier long-métrage en 2014, The sounds of things. Selon lui, son dernier film « doit être perçu comme un film néoréaliste » et cela peut paraître évident dans la manière qu’il a d’aborder cette vie rude et les difficultés de communication entre la fille et son père, par exemple, séparés par un secret non divulgué et le fantôme de la mère. Le néoréalisme, il faut aller le chercher dans la solitude, dans les espaces boisés inquiétants, dans les déambulations solitaires de Domingo partant acheter de la gnole pour la boire avec ses copains. « C’est un film à la fois personnel et politique, douloureusement réaliste mais joyeusement imaginatif », déclare-t-il dans le dossier de presse du film.
Touche pas à ma terre
C’est un film qui parle clairement de territoire et d’appartenance et de cette façon aussi, implicite et sournoise, dont le capitalisme vous dépouille sous prétexte de progrès et de modernité qui ne vont que le servir, lui égoïstement et tragiquement. Le film nous montre alors une humanité attachée à ses lopins, mais dans l’incapacité de se défendre, de se réunir et de se protéger comme savaient le faire les hommes du Moyen-Age. C’est pourquoi les coups de fusil dans la nuit de Domingo qui a peur de réveiller les fantômes peuvent aussi passer pour dérisoires, alors qu’ils sont sa raison de vivre et de résister. On ne restera pas insensible non plus à la beauté des images signées Nicolas Wong Diaz, ni à la tristesse de ces hommes solitaires mais très peu solidaires, qui ont appris à vivre de rien pour des rêves flous qui continuent à les hanter. « C’est un film sur la perte, déclare le réalisateur, la rédemption et la justice. C’est un cri de révolte et une prière pour le changement. » C’est surtout un film qui ne laissera personne impassible, dans lequel chaque image est parfois tendresse en raison de la modestie des gestes, tel ce don des torchons de la mère par Domingo à sa fille qui en a besoin pour son travail. La seule question qui nous taraude toujours après avoir vu un tel film, c’est : que vont en faire les spectateurs, oseront-ils enfin se révolter après l’avoir vu ? On peut hélas en douter.