Doc et Doc au Forum des Images : << Renaud Victor, derniers gestes. >>

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Ce mardi 13 mars au Forum des Images : << On, c´est un con >> ?

Ce mois-ci au Forum des images, après une jolie programmation sur le fait divers, l’association Documentaire sur grand écran nous projette sous les verrous, avec deux films de Renaud Victor. Au programme, l’enfermement sous deux de ses coutures : l’autisme et la prison.

Philosophe, chercheur et cinéaste, Fernand Deligny a justement passé sa vie à observer les autistes. En 1972, découvrant son premier film, Le moindre geste (1971) (1), Renaud Victor part rencontrer la bête dans les Cévennes. Leurs échanges seront déterminants pour les cinq films de sa courte filmographie. Fernand Deligny : à propos d’un film à faire (1987-88) en est l’avant dernier. Et même si le film reste à faire, effectivement, puisqu’il s’agit d’un essai sur un projet de film abandonné, les fondements du cinéma y sont clairement ébranlés. « Le cinéma, c’est relier l’homme au monde par un autre moyen que le langage », écrivait André Bazin. Et Deligny d’entériner : « L’image au sens où je l’entends, l’image propre est autiste, je veux dire qu’elle parle pas. L’image dit rien. Et que, comme pour ce qui concerne les enfants autistes, raison de plus pour que tout le monde lui fasse dire je sais pas quoi. L’image a bon dos aussi de la même manière. » On nous aurait menti, alors : tous les films sont muets ? Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir finalement réussi à doter les images d’une voix… On les a bien mâtées ? On les a faites parler.

Mais qui c’est « On » ? La société ? Pas exactement. C’est « Je » qui envisage la société, qui anticipe le monde extérieur, autrement dit « Nous » qui nous adaptons aux autres. « Nous » qui manions le langage, qui sommes capables d’interpréter symboliquement les images échevelées dansant librement sur les écrans. Libres, toutefois, les autistes, incapables de concevoir le « On » et englués dans le seul sentiment de leur « Je », ne le sont pas : « On n’est pas libre quand on vit dans l’absence de l’autre ». Comme une image seule peut où non s’agiter, elle ne dit rien si « On » n’est pas là pour la faire parler, pour l’investir d’un message quelconque, lui donner du sens, comme on en donne un à l’Histoire. Elle existe, c’est tout. Repliée sur son non-sens. Les enfants autistes, paraît-il, se contentent d’agir. D’après Deligny, quand on les regarde de plus près, on voit qu’ils ne font proprement rien. La nuance est de taille. À l’alternative de réaliser un film qui « agit », Renaud Victor préfère réaliser un film qui « fait », et en l’occurrence un film qui pense, en direct, sous nos yeux chargés de raffiner cette matière brute. Alors que Deligny raisonne, Renaud Victor s’évertue à déconstruire la cohérence de ce qui pourrait trop aisément se résumer à un discours théorique clos afin de mieux y injecter le doute, le ressort de toute recherche.

De jour comme de nuit
Un doute qui nous opprime à la vision de De jour comme de nuit (1991), tourné à la prison des Baumettes à Marseille. Renaud Victor y a passé un mois enfermé, recueillant les témoignages des détenus, les scrutant dans leurs moindres gestes, comptant leurs cicatrices. On est vite rentré dans leur intimité : les couloirs sont étroits, les cellules toutes autant. Véritable citadelle autarcique, collectivité concentrée, collision suffocante d’ego, Léviathan hybride, la prison obéit évidemment aux lois de la société mais connaît surtout ses propres lois. Qui y rentre à douze ans et demi n’est pas sûr de pouvoir en sortir un jour. Presque à la manière d’une tragédie grecque, qu’on commence par un simple vol ou un homicide, le mécanisme est bien huilé. La machine semble aspirer puis broyer ceux qui ont le malheur d’y poser le pied un jour. Regardant un documentaire sur les asiles psychiatriques, une « victime » nous prend à témoin : la prison c’est pareil, il y a l’entrée, puis la sortie, et entre les deux, les neuroleptiques. En off, la télévision de compléter : « la folie fait peur ». Ça tombe bien, la prison aussi. Ou plutôt ceux qui y vivent. Et parfois même à ceux qui y débarquent, comme ce grand gaillard émouvant qui, une fois passé derrière les barreaux pour « seulement » deux mois, chiale déjà comme un enfant.

Renaud Victor calcule avec finesse l’ordre de ses questions. Lui-même improvisé quasi détenu, il parle d’égal à égal avec ses camarades de galère. Vingt ans de taule, c’est beaucoup. Après discussions, nous sommes obligés d’en convenir. Même si dans la seconde d’après, on apprend que c’est pour homicide volontaire… Renaud Victor inverse ainsi les codes posés par les medias quant au traitement du fait divers dans les informations. Le documentariste ne nous présente pas d’abord un criminel, il nous présente quelqu’un. Ce quelqu’un n’est pas, d’abord, un voleur ou un meurtrier. Un tunisien continuera de clamer son innocence alors que la presse l’a déjà condamné : le monstre, ce beur, ce gosse de riche, aurait tué sa fiancée. En attendant le jeune homme pleure, lui aussi, dans sa cellule. Renaud Victor explose le dispositif du bouc émissaire tant exploité par les medias. Le procédé est simple : on désigne une tête de Turc sur laquelle on décharge tous les maux de la société, on la stigmatise, et enfin, on l’exécute ou on la marginalise – sans trop se préoccuper de son salut –, pour mieux exorciser la communauté de ses démons. Les fous et les criminels, qui incarnent l’écart du droit chemin, sont évidemment aux premières loges. Tenter d’avoir de l’empathie pour eux reviendrait à se déclarer suspect.

Fernand Deligny : à propos d’un film à faire

« La caméra doit dépasser les bornes du langage », expliquait Fernand Deligny. Si l’image ne dit rien, le discours peut également monter des forteresses imprenables, produisant une idée qui n’exprimerait alors pas plus qu’une image tant elle relèverait d’un vieux réflexe d’autoprotection. On reste cois devant ce détenu qui affirme, sûr de lui, à quel point les gens dehors, enferrés par leurs devoirs de citoyens, ne vivent pas libres… qu’ils se satisfont de « rien ». Aussi absurde que cela puisse paraître, la prison rassemblerait des gens qui, inconsciemment, chercheraient un nouvel espace, un espace de liberté qu’ils ne pourraient trouver au-dehors. Peut-être parce qu’ « On » les contraint ? Les deux derniers films de Renaud Victor, sans donner de réponse, se cognent ainsi la tête contre les murs de la notion de liberté. Belle idée s’il en est… Alors que Deligny constatait l’attrait des enfants autistes pour l’eau, Renaud Victor, en passant de l’autre côté du miroir, nous donne à éprouver ce que Narcisse a découvert en sombrant dans les eaux du fleuve. Les limites du « Je ».

Séance de 19h : Fernand Deligny : à propos d’un film à faire (1987-88).
Suivie d’une rencontre avec le chef-opérateur Cyrill Renaud, et le cinéaste et producteur Bruno Muel.

Séance de 20h45 : De jour comme de nuit (1991).

(1) B. A  – BA : plus d’informations sur ce film ici, sur le site du Ciné Club de Caen, plus une biographie de Fernand Deligny , sur le site de Dvdclassik.
 


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