L’intérêt principal du film réside sûrement dans la structure nette de l’intrigue, divisée en trois jours, soit trois actes.
On nous présente ainsi un héros jeune, beau et mystérieux, chez qui tout le romantisme du XIXème siècle s’est installé. Au café, il se délecte à faire des croquis des belles femmes qui l’entourent. C’est ainsi qu’on découvre que toutes les femmes, cheveux au vent, sont étonnamment belles dans la ville de Sylvia. Celle-ci, magistralement interprétée par Pilar López de Ayala, entre en scène comme par magie à travers son reflet sur l’une des vitrines. Le héros l’aperçoit, mais aussi vite aperçue, aussi vite disparue: Sylvia part. La quête du héros-chevalier s’active alors.
Petit à petit, la belle promenade transforme la ville en un labyrinthe au sein duquel le héros approche Sylvia et l’appelle sans réponse. Il s’en éloigne alors, la perd de vue, la retrouve, la reperd et la retrouve à nouveau.
Deux éléments narratifs pimentent cette course-poursuite. D’un côté, un graffiti que l’on retrouve presque dans chaque plan, à chaque coin de rue : un « Laura je t’aime », qui confond le spectateur en renvoyant à un possible quiproquo. Ensuite, des personnages récurrents de la ville universelle : le vendeur ambulant africain, le musicien d’Europe de l’Est, le marchand de roses pakistanais.
On met tout de même un certain temps à réaliser qu’il s’agit bel et bien d’un héros purement romantique qui, perdu dans ses pensées, se concentre sur la recherche d’une femme parfaite. Sa concentration par contre est évidente, notamment au café des flâneries. Il s’isole du bruit derrière les écouteurs de son baladeur, de telle façon que Strasbourg semble pour le coup hors cadre, à travers une bande son dépouillée et précise, qui rappelle d’ailleurs la perfection de celles des films de Jacques Tati. Le rapport entre la musique et la ville se trouve particulièrement bien exploité. En apparence extra-diégétique, la mélodie passe en off et se transforme en reflets, ceux des violonistes sur les vitrines, puis arrive plein cadre, lorsque le héros rejoint les musiciens pour mieux contempler les reflets de sa belle Sylvia. Cette bande-son donne un souffle de vie aux images désincarnées, et permet au spectateur de s’attacher à une intrigue volontairement diluée au bénéfice de la structure.
Le décor cependant n’est pas suffisamment mis en valeur. Tout au long du film, le réalisateur construit une chorégraphie minimaliste dans les ruelles de Strasbourg, sans pour autant vraiment exploiter le côté artificiel qu’il a lui-même proposé. Si le beige et le bordeaux dominent l’image épurée, en imprimant une sensation de peau et de brique, le raccord possible entre l’humain et la ville reste vague. Beau théâtre sans âme, Strasbourg invite au voyage, sans pour autant nous accompagner.
Le héros prend donc la relève, en jouant la naturalité du promeneur romantique égaré. Peut être l’amoureux se retrouvera dans cette démarche, mais le message risque d’atteindre peu de spectateurs alors car, même si elles sont bien exposées et visibles à l’image, les femmes restent désespérément muettes, et Sylvia tout simplement injoignable. On les observe de près, oui, détaillant leurs gestes, leurs regards, leurs soupirs, leurs cheveux, mais elles sont pour le coup mises à distance par défaut, à cause de cette sorte d’idôlatrie mise en place envers des « femmes-statues ».
Le dispositif d’observation est pourtant intéressant : J.L. Guerin parie sur « [le remplacement du] drame psychologique par le travail du geste, comme cela est envisagé dans la peinture ». Dans ce cas-là, la parole n’est pas forcément nécessaire en effet, mais ce dispositif se retourne malheureusement contre le film, car, en étant surexposé en permanence, il finit par présenter des personnages femmes sans profondeur, et déçoit.
José Luis Guerin essaie ainsi de rendre hommage à la femme inconnue, et ce à travers le décor même, qu’il qualifie d’«ensemble de signes qui évoquent la femme absente ». Malheureusement pour tous, il ne réussit qu’à moitié, car dans cette ville cosmopolite réconfortante pour le héros voyageur, les femmes sont définitivement hors champ.
Si la ville reste un décor inanimé, elle permet cependant de mettre en valeur des personnages secondaires très attachants, qui nous donnent, quant à eux, une réelle envie de les suivre dans leur parcours quotidien. Cela nous renvoie d’ailleurs au précédent film de José Luis Guerin, l’excellent documentaire En construcción (2001) où l’on assistait à la transformation d’un quartier populaire de Barcelone. Un quartier en constante évolution, si vivant et rempli d’histoire qu’il finissait, quant à lui, par devenir un personnage attachant à part entière.