Coupable (2008)

Article écrit par

Film complexe dans lequel un sujet classique est la quadrature d´une réflexion ironique de la part de la réalisatrice. Original mais trop flou et mystérieux pour convaincre.

Une grande maison isolée. A l’intérieur, à l’extrémité de la table à manger, un couple silencieux. Entre eux deux, Marguerite Marquet, cuisinière. Parfait trio pour un adultère qui se conclut par le meurtre du mari. Mais qui est coupable ? La femme, par désir de vengeance, ou la cuisinière, par lassitude ? Un policier se charge d’enquêter tandis qu’un jeune avocat, Lucien Lambert, trouve l’opportunité de réfléchir sur son couple. Tous ces personnages se retrouvent non seulement pour une enquête policière mais aussi pour une enquête intimiste sur leur propre rapport à l’amour.

Après la Repenti et Pourquoi pas le Brésil, Laetitia Masson propose une nouvelle fois d’explorer la connivence entre réalité et fiction. Dans Coupable(s), la désillusion de l’âme sœur est sublimée par une réalisation léchée et des références classiques indéniables. Laetitia Masson s’amuse avec les codes du polar, mêle drame bourgeois et philosophie mais laisse pantois. Un film ambitieux, intelligent et singulier qui malheureusement s’efface devant le rythme lent et des personnages trop mystérieux.

Dès le début, par la voix de Michel Onfray résumant les grandes lignes de l’histoire de l’âme sœur de Platon à nos jours, puis par des témoignages de couples divorcés, un ton sérieux et réaliste s’impose. Toutefois, après cet incipit, le film dépasse le simple exposé sur un énième conflit conjugal pour se fondre dans le polar. Mais ce genre est-il exploité dans ses règles ?

Comme si Laetitia Masson se refusait de croire elle-même à la théorie du grand amour, elle maquille et invente un cas extrême : le meurtre passionnel. De même que l’assassinat truqué, couteau de cuisine en plastique planté dans la dos et cadavre placé digne des silhouettes des films policiers, la réalisatrice ponctue son film d’indices sur le faux polar qu’elle tente de mener. Le centre d’intérêt n’est plus le crime ni ses motifs, ni la découverte du coupable. Les pistes sont entièrement brouillées. Tout se joue sur le double de l’identité, aussi bien des personnages que du film.

Entre fiction et postulat historique, Masson érige un travail sur l’illusion : de l’âme sœur, du prétendu coupable, de la preuve par l’Histoire et du cinéma adultère. Ce n’est donc pas par hasard que la femme s’appelle Blanche Kaplan. Clin d’œil à Hitchcock et La Mort aux trousses ou le héros Robert Thornhill possède une double identité et est pourchassé.

Dommage que les longueurs et ces personnages devenus des fantômes affaiblissent son discours. D’ailleurs, ce dernier est injustement réduit à un aphorisme quelconque, suggérant que « tous sont coupables ». Les propos de Michel Onfray et la pauvreté de l’intrigue donnent alors l’impression d’un film prétentieux.

Cinéma pensé, réfléchi, complexe et soigné, Laetitia Masson ne cesse d’explorer des pistes originales, qui tissent le lien entre convention et marginalité. Malheureusement, une impression de flou et un goût d’inachevé et restent en suspend.

Titre original : Coupable

Réalisateur :

Acteurs : , ,

Année :

Genre :

Durée : 105 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

L’Aventure de Madame Muir

L’Aventure de Madame Muir

Merveilleusement servi par des interprètes de premier plan (Gene Tierney, Rex Harrison, George Sanders) sur une musique inoubliable de Bernard Herrmann, L’Aventure de Madame Muir reste un chef d’œuvre inégalé du Septième art, un film d’une intrigante beauté, et une méditation profondément poétique sur le rêve et la réalité, et sur l’inexorable passage du temps.

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…