Un scénario qu’on imagine volontiers décousu, plein d’esquisses et de creux à combler en jouant ensemble, pour le plaisir de faire un film entre amis. Car Casa Nostra ne raconte pas tant une histoire à proprement parler qu’il fait le portrait, très précis, de membres d’une même famille un peu éclatée, où la parole n’a jamais été le point fort. C’est une distance géographique aussi bien que mentale : les Scappini habitent loin les uns des autres, ne se retrouvent que quand les circonstances l’exigent. Pas d’animosité entre eux (ils se tombent dans les bras lors de leurs retrouvailles, origines italiennes obligent), plutôt l’habitude d’être séparés : le plaisir de se voir n’empêche pas que Hélène, Ben et Mathilde savent mieux fonctionner seuls. Nicholovitch les filme soit l’un après l’autre soit deux par deux, rarement tous les trois : il y a que Casa Nostra a été tourné en format carré, rendant ainsi difficile de faire entrer tout le monde dans le cadre. Mais, pas à pas, le film compose une série de vignettes qui rendent compte de ce qu’est leur vie propre, à chacun. On est avec eux, très proches de leur réalité, et Nicholovitch sait aussi bien les faire exister pour eux-mêmes qu’en trio. Il parvient, grâce au jeu très juste de ses comédiens et à une attention portée à tous les plans, à faire apparaître leurs failles, leurs traits de caractère – assez pour qu’on puisse sans peine imaginer ce qui les lie en tant que frères et sœurs en même temps que ce qui a pu les tenir éloignés.
Le tournage de Casa Nostra s’est déroulé en noir et blanc après avoir été commencé en couleurs. Le cinéaste avait d’abord imaginé faire le film en Super 8 : ce choix du noir et blanc s’en rapproche, et rappelle par instants les vieux films de famille. Nicholovitch affirme d’ailleurs ne pas être en désaccord avec l’idée qu’il ressemble à « un vieil album de famille qu’on feuillette ». Il y a de ça, en effet, et comme un album de famille qu’on ne connaît pas, certaines images intéressent plus ou moins. Mais c’est justement par cette série de quasi instantanés que les Scappini finissent par se dessiner tout à fait, jusqu’au père dont le portrait se fait en creux, au travers de scènes (de répétitions de théâtre notamment) qui donnent une idée de qui il était, et du rapport que ses proches entretenaient avec lui. Il y a, dans Casa Nostra, l’affirmation que les liens familiaux ne sont pas innés, que la transmission d’un patrimoine ne saurait valider un amour obligé. Et, par conséquent, que le deuil ne signifie pas forcément l’arrêt du quotidien – dans une très belle scène, surtout, où la mère passe l’aspirateur juste après avoir annoncé à une amie, par téléphone, la mort de son mari. C’est un film suggestif, où l’on devine plus que ne sont dites les petites douleurs passées. Et, s’il avance que l’amour filial n’est pas inconditionnel, Casa Nostra dit aussi, joliment, que l’éloignement n’est jamais irréversible.