Brazil

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La critique décapante et corrosive d´une société figée par l´extrême rigidité de ses mécanismes. Un film culte.

L’univers dépeint dans Brazil frappe avant tout par l’horreur sous-jacente sur laquelle il se fonde. A l’instar d’un récit d’anticipation, la démarche du film consiste à extrapoler toute une série de problèmes politiques, sociaux et économiques plus ou moins actuels, sous des formes criantes et exacerbées. Le caractère dystopique du film de Gilliam repose sur trois grands axes identitaires : l’industrialisation, l’administration et la militarisation. Connectés entre eux, ces trois axes forment un tableau particulièrement sombre et terrifiant de ce vers quoi les sociétés occidentales sont susceptibles d’évoluer.

Le monde de Brazil incarne le règne absolu de la Machine, le stade ultime de l’automatisation. Le film montre comment, face à la déshumanisation de leur cadre de vie, les individus se voient dépossédés de toute forme d’initiative et de liberté. Confrontant les valeurs consuméristes aux revendications terroristes vraisemblablement inventées de toutes pièces par les représentants de l’Etat, le modèle social de Brazil repose sur un double principe totalitaire : la manipulation des consciences et leur asservissement à cette même manipulation. Réduits à l’état de machines, les individus deviennent les prisonniers du système qui, paradoxalement, est censé conforter leur droit au bonheur et à la liberté. D’une durée de deux heures vingt-cinq, le film ne cesse d’épaissir le trait en fournissant de nombreux détails percutants.

Brazil, assurément, n’est pas un film d’anticipation classique. Il ne se rattache ni à un lieu, ni à une époque en particulier, pas même à une véritable vision futuriste du monde. Le long-métrage commence en effet par l’annonce : « Somewhere in the 20th century ». C’est que Brazil semble tout à la fois se situer dans le passé, dans le présent et dans le futur. L’idée mise en jeu consiste à composer – sur le thème de l’Homme et de la Machine – un patchwork de références historiques (le look S.S. des policiers), sociales (la référence aux sociétés de consommation), filmiques (Metropolis, la reprise de la très célèbre scène de l’escalier du Cuirassé Potemkine), littéraires (Huxley, Kafka, Orwell) et picturales (l’iconographie publicitaire de l’Amérique des années 50), toutes apparentées au vingtième siècle. S’employant à mélanger les signes, les codes et les stéréotypes, Gilliam donne à son film un ton burlesque et décalé largement nourri tout au long du récit. Brazil, de fait, se définit tout aussi bien comme une adaptation de 1984 dans l’univers des Monty Python, que comme un film des Marx Brothers dans le monde de Franz Kafka, et le tout sur des airs de samba.

On ne peut qu’hésiter entre le fait de rire et d’être horrifié devant les multiples situations exposées, tant le long-métrage réussit à concilier la vision terrifiante du totalitarisme au regard distant, à la vision humoristique qui l’encadre. Sans cesse conjugué à l’inimaginable horreur qu’une telle société suppose, le caractère comique du film tend, par là, à déconnecter le spectateur des traitements inhumains dont les personnages, tour à tour, finissent par être les victimes. A l’absurdité du régime totalitaire vient ainsi répondre l’absurdité de la mise en scène. Le rire, pour Gilliam, ne constitue pas une fin en soi, mais se définit comme un moyen d’expression à part entière : une façon propre de communiquer cette vive et vaste inquiétude.

Plus de vingt ans ont passé depuis la sortie du film et celui-ci n’a rien perdu de son mordant, ni de sa pertinence. Si Brazil, aujourd’hui, séduit toujours, c’est bien parce que les questions qu’il aborde n’ont rien perdu de leur actualité, ou encore, parce qu’à l’exception du récent et très beau Telepolis d’Esteban Sapir (2008), ces mêmes questions semblent délaissées par le cinéma contemporain.

Date de sortie : 20 février 1985
Date de reprise : 16 avril 2008

Titre original : Brazil

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Durée : 142 mn


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