Bob Roberts

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Premier long de l’acteur/réalisateur Tim Robbins, Bob Roberts effraie par sa modernité et ses prémonitions.

Ecoutez les cloches de la liberté. Soyez fiers de vos racines et hissez-vous parmi les meilleurs de votre lignée. L’Amérique, c’est la Terre de la quintessence, de la modernité et surtout de la tradition. Bob Roberts, chanteur et guide folk, sait de quoi il parle. Rebel avec une cause profonde, la foi. Rebel avec une idée précise, la grandeur de la race blanche. Rebel avec une lumière jaillissante sur de beaux regards bleu azur, le temple du christianisme errant. Bob est beau, altier, droit et agile. Il pratique l’escrime, l’amour, la fidélité et l’échange. De la justesse, rien que de la justesse dans son verbe, dans sa langue de bois et dans son déhanchement lascif. Bob Roberts, c’est surtout le premier long-métrage de l’acteur démocrate, Tim Robbins, qui en 1992 réalisa un pamphlet indiscutable contre l’establishment Bush Sr sans se douter qu’un jour L’Histoire rappellerait un autre membre du clan Bush, Junior, le fiston trublion, pour un règne de huit ans.

Lorsque le film sort sur les écrans, les américains s’interrogent sur le processus électoral qui verra la victoire de Bill Clinton, pour le poste suprême et ce au détriment du républicain hardcore, Georges Bush. Tout près, une émeute se déclenchera dans les rues new-yorkaises, après l’acquittement des policiers qui tabassèrent Rodney King pour la simple et honteuse raison qu’il avait la peau noire. Et pour couronner le tout, Spike Lee réalisera l’un de ses plus beaux cris de guerre ciné avec Malcom X, œuvre complexe et néanmoins intéressante. Bob Roberts, au beau milieu de tout cela, n’est qu’une première œuvre réalisée par un acteur au sang chaud et aux idées socialement larges. Tim Robbins, rappelons-le, explose dans The Player de Robert Altman, et profite donc de ce succès pour aller frapper aux portes de la société de production et de distribution, Miramax. Très vite, Robbins, dans la foulée, convoque quelques illustres amis comédiens issus de la scène britannique et américaine. Réel exemple de camaraderie ciné où chaque rôle, chaque ligne de dialogue furent pensés pour un visage précis, Bob Roberts présente une certaine fluidité dans la direction d’acteur, qui à aucun moment ne flanche et ne donne le sentiment que tout est amplifié.

Emouvantes sont les premières séquences où l’on distingue le personnage, grand dadais dénué de remords et culturellement vide. Ce Bob renvoie immédiatement à deux véritables figures américaines qui à leur manière, révolutionnèrent leur société. Bob Dylan pour la partie musicale, et surtout l’actuel président des USA, Bush Jr, pour cette représentation bouffonne et extrémiste du personnage. Avant d’être un politique, Roberts est un chanteur ringard qui aime son prochain, surtout quand celui-ci dégage de belles odeurs dollariennes. Les textes sont dénués de subtilités, fortement intolérants et superbement provocants. Chez Roberts, la mélodie n’est pas risquée, elle pourfend l’originalité sans se soucier d’une quelconque interprétation qu’un auditeur lambda pourrait ressentir. Tout comme Dylan mais avec de nombreuses réserves, Roberts promène son ombre folk à travers des murs de lamentations, mais sans le génie et l’aura dylanesques. Robbins ira même jusqu’à reprendre la pochette des légendaires albums de l’auteur d’« I want you », en rajoutant quelques clins d’œil ici et là sur ses propres goûts musicaux.
Seconde référence qui reste monstrueusement prémonitoire : la figure bushienne. Bob Roberts est un born again christian, revendiquant une foi religieuse retrouvée, et surtout l’aptitude à vouloir évangéliser tout ce qu’il touche. Hormis ce statut légèrement ambigu, Roberts crache sur les mouvements protestataires et égalitaires des années 60, période exceptionnellement charnière où les libertés prirent de l’ampleur. Roberts se sert de la peur, de la paranoïa que les nombreuses crises sociétales peuvent engendrer ou provoquer sur le peuple américain. Rien que pour cela, Roberts est le grand frère de Bush et peut se vanter d’avoir esquinté l’imagerie collective d’une politique consciencieuse. Tout au long du film, Tim Robbins offre un portrait d’un soi-disant naïf qui, sous ses airs de patriote angélique, cache un redoutable homme d’affaires, solitaire, et dont l’objectif est de briguer toutes les parcelles du pouvoir.  

 

Bob Roberts est une charge féroce contre l’hypocrisie des hommes de lois et d’ombres que les USA ont su constituer. Reprenant quelques faits véridiques (assassinat de Robert Kennedy, scandale du Watergate, etc), Robbins réadapte l’Histoire pour façonner une construction narrative qui décime tout surson passage. Le film est rapide, sans temps morts, offrant de très belles séquences dans lesquelles le spectateur n e peut s’égarer tant la maitrise du sujet est conséquente. Tout est malheureusement vrai, et cette justesse de ton et d’analyse renvoie Tim Robbins vers ces fameuses productions politisées des années 70. Clairvoyant, Robbins propose une réflexion pertinente sur la fabrication d’une image, qu’elle soit cinématographique (l’équipe de journalistes venus réaliser un documentaire sur Roberts), politique (les entretiens sont finement écrits), ou populaire (les médias sont brocardés et remis à leur place). Une réussite !


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