Quarante ans se sont écoulés depuis la sortie du film de Buñuel Belle de jour (1967). En laissant le temps faire son travail, Manoel de Oliveira ne pouvait se résoudre à exécuter une simple suite au long métrage du maître surréaliste. Trop malin pour cela, le cinéaste portugais réussit l´exploit de réinvestir les thèmes sous-jacents d´une histoire qui osait chambouler la réalité des relations sociales d´une société acculée à l´émancipation.
D´une maîtrise absolue, il renforce l´importance de son histoire par le biais d´une géographie singulière qui confine le métrage dans une intemporalité presque surréelle des lieux (bar ; hôtel ; salon privatif), des situations (chassé-croisé ; quasi mutisme du repas) et des postures (jubilation pour l´un et tension pour l´autre). A la fois cocasse et cruelle, cette partition d´une acuité saisissante se joue dans un microcosme désuet, pour imposer un réalisme pessimiste. Les scènes du bar sont l´expression de cette parole qui confronte (reflet d´une conscience torturée), qui se livre et qui s´apaise. Dialogue intérieur et de confidence narcissique, le cynique affronte une solitude qui le plonge dans l´alcool.
Les retrouvailles parisiennes entre Séverine et Husson permettent au réalisateur une analyse subtile qui ancre le renoncement, le silence et la souffrance dans les profondeurs de l´âme humaine. Film clos qui dessine un voyage intérieur, nous suivons les sillons que trace devant nos yeux cet ancien jouisseur bourgeois en quête de rédemption. Interprété par un Michel Piccoli grave et détaché, Husson propose une rencontre afin de soulager la conscience de Séverine. Justification fallacieuse mais nécessaire au déroulement de l´histoire, ce dîner sera l´occasion pour le cinéaste de rendre hommage à Buñuel et de conforter la persistance d´une condamnation morale vieille de quarante ans.
Séverine, interprétée quant à elle par Bulle Ogier (qui remplace Catherine Deneuve), est à la fois absente et rude. Méfiante, elle ne cherche qu´une seule chose : la délivrance. Figure judéo-chrétienne de la culpabilisation morale, elle n´aura aucune échappatoire et subira l´affront d´un vieil homme cynique. Manoel de Oliveira tisse une rencontre dans le flot de souvenirs pesants qui déchirent aussi bien les chairs que la pensée.
Belle Toujours est donc un plaidoyer qui condamnerait les êtres humains à un pessimisme de rigueur. Si Oliveira ne cache pas l´utilité de l´espoir (n´est-ce pas l´unique raison qui poussera Séverine à accepter l´invitation !), il ne peut concevoir l´idée d´un quelconque altruisme salutaire. Son film, d´une ironie totale, structure l´individu dans un rapport de domination qui entrave le champ des libertés. En explorant d´aussi près cette métaphysique de l´être, Oliveira porte un regard << crépusculaire >> sur la condition humaine. Il nous livre une farce impitoyable qui nous force à réfléchir, nous condamne certainement, mais nous place irrémédiablement devant nos responsabilités.
Grand film.