Souvent il est dit qu’avant de mourir, on voit défiler en esprit toute son existence. Satché ne la voit pas défiler en lui, mais au contraire défile en elle. Aujourd’hui est un parcours à travers Dakar et la vie du personnage : l’intime (la femme, la famille, les amis), le social (les autorités politiques et culturelles, la manifestation) et cultuelle (le rituel du lavement). Si sur le papier, le parcours paraît séduisant, sa réalité est moins convaincante. Saul Williams (chanteur et acteur qu’on avait découvert dans Slam de Marc Levin en 1998) est habité par son personnage, mais la caméra, elle, peine à trouver le ton de chaque scène. Étrangement, elle semble à l’écart, non pas dans un retrait pudique et respectueux à Satché, mais plutôt non à même de l’observer et le saisir avec la juste distance. Elle reste très en surface alors qu’elle se voudrait en phase avec lui. Ce qui est passage obligé dans le cheminement du personnage devient passage obligé, souvent laborieux, pour le film, qui loupe ainsi son cheminement émotionnel. À l’inverse de l’acteur, la mise en scène manque d’incarnation.
Le temps pris avec le personnage importe alors peu puisqu’on ne peut finalement le partager réellement. Satché attend la mort, nous on attend juste la fin, subissant de plus en plus les scènes à mesure que le scénario pénètre dans l’intimité du personnage : un moment pénible avec un ancien amour ou maîtresse, une ultime séquence de bonheur familial dont la sensualité n’est pas transcendée… Peu dialogué, le film est pourtant incroyablement bavard, plus dans la démonstration sentimentale que dans le ressenti réel. À plusieurs reprises, on pense au vidéaste américain Doug Aitken dont les installations montrent souvent un corps traversant les villes, un être en transit qui se confronte à ses rythmes et mouvements, champ d’énergie contre champ d’énergie. Cette rencontre entre un corps et son environnement ne se fait pas ici. Dommage car l’apparition de la ville en arrière-plan (de l’image comme du film), aussi succincte et intermittente soit-elle, est le plus saisissant d’Aujourd’hui. Dakar comme territoire multiple, en perpétuel changement, qu’on aimerait voir filmée par Jia Zhangke par exemple, grand filmeur des mutations urbaines. Malheureusement la sincérité du projet initial ne trouve pas, ou mal, le chemin jusqu’à l’écran.