Ce film, portrait d’une femme exceptionnelle, se présente comme un aller-retour permanent entre le mouvement et le souffle, entre l’art et la vie, avec pour seul territoire la danse, et unique injonction : « Dansez votre vie » ! En effet, cette femme de presque 93 ans, qui fut atteinte d’un cancer et qui s’est guérie par la danse, continue à danser et elle est étonnante. On constate aussi qu’elle fut à l’initiative d’un grand nombre de pièces dansées dont certaines ont complètement influencé l’art chorégraphique contemporain. Le film est construit autour de la piste de danse qu’elle a faite installer dans son jardin californien et sur laquelle, depuis des dizaines d’années, nombre de danseurs se sont entraînés et ont donné des spectacles comme celui auquel on assiste dans le film et qui lui évoque sa jeunesse, lui fait sourdre des larmes discrètes dans son beau visage à la fois ridé et d’une étonnante jeunesse. Par le biais d’entretiens ou de rencontres, Anna Halprin distille sa leçon de vie, qui est aussi une leçon de cinéma. Comment filmer l’art, la joie, la vie ? Elle le sait même si ce n’est pas elle qui tient la caméra. Il n’est que de voir ce film suisse, parfaitement bien construit, élégant et présent, offrant un portrait presque parfait d’une femme à la fois exceptionnelle et profondément humaine, donc modeste et humble, pour s’en rendre compte. Lors d’une rétrospective à Lyon, mais aussi au Centre Pompidou de Paris, on retrouve Anna Halprin avec ses danseurs dans des lieux prestigieux où elle conserve sa bonne humeur et sa joie de vivre immarcescibles.
Deux moments forts, parmi tant d’autres, culminent dans ce documentaire qui se laisse voir comme un excellent film de fiction, sont ceux où on la voit, à plusieurs reprises, seule en scène, nous raconter et nous danser sa vie et ses malheurs ; ou bien lorsqu’entourée d’un grand nombre de personnes âgées sur un pré, elle leur rend hommage et leur fait comprendre qu’il faut danser sa vie et danser toujours, répétant à l’envi le message que son maître à danser, Isadora Duncan, lui donne encore même longtemps après sa mort. La danse nous sauve de tout nous dit-elle, de l’ennui, de la maladie et de la mort, elle qui s’est guérie d’un cancer et qui aide maintenant encore les malades du SIDA en utilisant encore et toujours la danse. Héroïne nietzschéenne qui préconisait lui aussi la danse, on comprend pourtant mieux pourquoi il ne faudrait pas prendre à la lettre l’aphorisme du célèbre poète philosophe : peut-être n’est-il pas nécessaire d’avoir « du chaos en soi pour accoucher d’une étoile qui danse », même si la vie qu’Anna Halprin a menée, à la fois très structurée et très bohème, rappelle aux spectateurs quinquagénaires les années du Living Theater.