Without

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Premier long métrage troublant et habité.

C’est en ferry qu’elle arrive, yeux dans le vague et sa vie dans un sac à dos. Joslyn a autour de 18 ans, elle est à l’âge où elle devrait aller à l’université. Au lieu de ça, elle débarque sur une petite île isolée de la côte pacifique nord-ouest des États-Unis, quelque part dans l’État de Washington, avec une mission : s’occuper à domicile d’un vieil homme quasi catatonique. La fille pas très sympa du vieillard le précise : il faudra le nourrir, le laver, l’habiller, prendre en charge le ménage. Il y a beaucoup de choses à faire, beaucoup de choses à ne pas faire, aussi – boire son whisky, mettre les couteaux dans le lave-vaisselle (« ça les émousse »), changer sa chaîne de télévision préférée (l’équivalent US de Chasse et pêche). Joslyn est à l’âge des sorties, elle choisit l’isolement. Il n’y a pas Internet, son iPhone ne capte que très rarement, et la présence du vieil homme n’est pas exactement rassurante. Le film de Mark Jackson, premier long métrage d’un réalisateur d’abord formé au métier de chef opérateur en Italie, est mystérieux, comblé de trous et d’ellipses qui, loin de lasser, entêtent.

C’est que Without prend son titre très au sérieux : de fait, c’est un film fait de « sans », de cassures qui forment pourtant un ensemble extrêmement plein. Joslyn est sans famille, sans ami sur cette île qu’elle ne connaît pas, lieu désolé battu par les vents où, pour l’amitié, elle ne peut compter que sur la serveuse du Starbucks local ; et pour l’amour, sur le chauffeur de taxi un brin insistant, qui peut lui « montrer la ville » et qui, on l’apprendra plus tard, est le petit ami de la serveuse – c’est un bled, en fait. Joslyn, surtout, est sans téléphone, en tout cas sans connexion. Son iPhone lui sert alors de disque dur, d’enregistreur de mémoire de ce qui se passe dans la maison – à peu près rien – et, de temps en temps, de visionneuse à une photo sur laquelle elle zoome et qu’elle regarde souvent, celle d’une jeune fille qu’elle a peut-être aimée. Rien n’est très sûr dans Without, c’est sa beauté. De Joslyn, on ne sait rien, si ce n’est qu’elle a perdu quelque chose et que ça l’a brisée. De l’homme dont elle s’occupe non plus : ses yeux vides ne disent plus s’il pourrait, potentiellement, la désirer. Et les bruits dans la grande maison vide, sont-ils réels ?

 


Less is more
. La formule si souvent employée par Mies van der Rohe ne saurait mieux convenir à Without, tant le format est souvent dans l’épure quasi architecturale. Car le film de Mark Jackson avance par étapes, se fait par strates qui ne se superposent pas forcément mais finissent par donner un tout cohérent qui tient debout. Without est un film d’ambiances, de suggestions, où l’imagination est libre de vagabonder, où rien ne tient jamais de l’affirmation. C’est un film d’angoisse, aussi, une angoisse sourde mais palpable qui fait craindre un danger imminent, qui porte à croire que tout pourrait déraper facilement. La photo de Jessica Dimmock et Diego Garcia y est pour quelque chose, teintes sombres et caméra qui déambule dans les couloirs de la demeure en même temps que Joslyn s’y déplace ; la musique de Dave Eggar et Nancy Magarill également, tout en bruissements et plages ténébreuses. Que Joslyn se mette à imiter à voix haute les instructions de ses employeurs, et l’on se met à craindre pour sa santé mentale. Surtout que, dans la glace, elle découvre une balafre dans le dos dont elle ignore elle-même la provenance.

Joslyn, c’est Joslyn Jensen, par ailleurs chanteuse folk dans la vraie vie. L’homonymie entre l’actrice et le personnage ne tient pas de l’anecdote : Without filme aussi, peut-être avant tout, la naissance d’une actrice. Jensen est impressionnante dans un rôle difficile, et semble le comprendre à la perfection, faisant siens les errements intérieurs de son personnage, la folie pas toute douce dans laquelle elle pourrait à tout moment basculer. L’actrice donne toute sa profondeur à un film beaucoup moins aride qu’il n’en a d’abord l’air, qui refuse toute démonstration mais se tient à une histoire qu’il déroule avec maîtirise, distancié des affèteries sundanciennes du genre. Et, en creux, se dresse le portrait d’une jeune femme déconnectée mais tout à fait en phase avec sa génération, qui ne trouve finalement son salut que dans la présence de l’iPhone, fut-il hors réseau.

Titre original : Without

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Durée : 97 mn


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