Si le récit qui conditionne l’expression et la lutte de Jesus pour son identité est parfois appuyé (la violence du père, sa maladie), trouvant sa justification dans une forme d’atermoiement et de précipitations émotionnelles édulcorées, abordant plusieurs voies sans les explorer vraiment (le rapport à la filiation, la situation de la Havane, …) le film réussit à ne pas tomber dans le voyeurisme qu’aurait pu produire une certaine facilité ici à l’œuvre. Académique tant au niveau du scénario que formellement, Viva trouve sa force dans la mise en scène vivante de ses personnages, dans leur couleur, leur générosité et leur humour. Les plans du film sont marqués des teintes chaudes et vivaces des vêtements des artistes et de la chaleur de voix des chansons cubaines habitées qu’ils interprètent, où déguisement et chants sont autant de moyens de s’épanouir et d’échapper à une société miséreuse. Le film oscille entre une imagerie baroque et une esthétique plus naturalise, non sans rappeler l’œuvre des cubains Tomas Guttiérrez Alea et Juan Carlos Tabio, Fraise et chocolat (1992) qui filmait La Havane et ses protagonistes dans ce mélange de légèreté formelle et de gravité de sujet.
Héctor Medina incarne un Jesus attachant et plein de vie, tendre jeune homme accroché aux vinyles de sa défunte mère, qui évolue d’une attitude plutôt timorée vers une assurance épanouie une fois sur scène, devenu Viva. Il éclot là où un autre cinéaste filmait au contraire le crépuscule de la drag-queen Tonia, mettant également en scène le milieu du cabaret (Mourir comme un homme, João Pedro Rodrigues, 2009). Les deux films sont très différents et n’ont au fond peut-être en commun que le sujet de leur regard : une travestie dans son travail d’artiste au sein du cabaret. Paddy Breathnach est loin ici d’offrir la puissance cinématographique de l’œuvre du cinéaste portugais. Néanmoins, les œuvres partagent quelque chose en plus dans la jonction de leurs portraits respectifs : comme un printemps de vie et de subjectivité pour Viva, face à l’hiver de Tonia. Si, à l’aide d’une plasticité de chairs meurtries et déliquescentes, João Pedro Rodrigues rend avec virtuosité la fin de vie de Tonia, ce qui illumine le film de Paddy Breathnach est la tendresse énergique et juvénile, pleine de ressources, qu’il offre à son Viva.