Visage (Face)

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Tsai Ming-Liang s´invite au Louvre et revisite le mythe de Salomé. Un hommage surprenant à François Truffaut et à la Nouvelle Vague.

Voir un film de Tsai Ming-Liang – en l’occurrence son dernier, Visage –, c’est un peu comme fumer une substance illicite (du moins, c’est ce qu’on suppose). Les paupières mi-closes, on s’enfonce progressivement dans son siège, jusqu’à faire corps avec lui. Enveloppé dans une vague de chaleur apaisante, on perd petit à petit toute perception du temps. Mais surtout, il semble que notre imagination débridée nous joue des tours : sous nos yeux, Laetitia Casta se prend pour la princesse Salomé. Nue, au beau milieu d’un jardin des Tuileries enneigé, elle danse et chante en mandarin puis en espagnol. Fanny Ardant – qui se dit productrice – ère dans les couloirs labyrinthiques du Musée du Louvre à la recherche d’un acteur en cavale : Jean-Pierre Léaud, costumé en roi Hérode, trop occupé à papoter avec un moineau qu’il affuble de noms d’oiseaux (Orson Welles, Buster Keaton, Mizoguchi) pour se souvenir qu’il a un rôle à jouer. Dans un salon désert, Jeanne Moreau attend des convives qui ne viendront pas tandis que Nathalie Baye cherche partout une boucle d’oreille égarée. Quant au reste de l’équipe de ce film qui n’est pas prêt de se faire, ils courent dans toute la ville après un cerf censé faire de la figuration.
Quand « le Louvre s’offre aux cinéastes » et donne carte blanche au réalisateur taiwano-malaisien pour mettre en valeur ses collections, cela donne une revisitation décalée du mythe de Salomé, du cinéma contemplatif mais rythmé, sublime plastiquement sans être poseur (l’auteur possède une photographie, un sens du cadrage et de la composition proches de la perfection), fétichiste sur les bords (on retrouve les obsessions du cinéaste : l’eau, l’utilisation incongrue des aliments, les coupures musicales…) et traversé d’épisodes insolites, quasi fantastiques, rappelant la touche décalée, typiquement finlandaise, d’un Kaurismäki (voir l’épisode de la chasse au cerf).
 

Mais Visage est avant tout une ode au cinéma, aux acteurs – et notamment à Lee Kang-Sheng, véritable muse du cinéaste (The Hole, Goodbye, Dragon inn, La Saveur de la pastèque…) –, à la France (qui prend ici les traits de La Casta, notre Marianne nationale) et à François Truffaut en particulier. C’est d’ailleurs parce qu’il rêvait de réunir son acteur fétiche et le Jean-Pierre Léaud des Quatre cents coups, dont la figure porte selon lui « le sens du cinéma », que Tsai Ming Liang a réalisé Visage. A l’affiche tous les deux de Et là-bas quelle heure est-il ?, Léaud et Lee ne s’étaient en fait jamais croisés, l’un étant à Taipei, l’autre à Paris.

Notons, pour conclure, que la mise en abyme cinématographique (un film sur le tournage d’un film) n’est pas sans rappeler La Nuit américaine de Truffaut. La Nouvelle Vague est morte. Vive la Nouvelle Vague !

Titre original : Face

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Durée : 141 mn


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