Variety

Article écrit par

Rare film féminin sur l’imbrication entre pornographie et société. Une ressortie en salles à ne pas manquer !

La caissière du cinéma porno

Rare film de femme sur le regard des hommes sur le corps des femmes, et sur la manière dont le désir traverse notre monde divisé jusqu’à présent entre hommes et femmes. Bette Gordon le réalise en 1983 en plein New York, et on y ressent – dans les lumières et l’ambiance – l’influence inévitable de l’underground à la Andy Warhol. Avec la sublime photo de Tom DiCillo, le film raconte l’histoire de Christine qui cherche désespérément du travail et finit par se faire engager comme ouvreuse dans un cinéma porno de Times Square. Elle devient peu à peu obsédée par les sons et les images des films qui l’entourent. Puis, fascinée par un des spectateurs, un homme d’affaires du nom de Louie, Christine commence à le suivre… C’est sur cette trame on ne peut plus simple, voire simpliste, que Bette Gordon réussit à bâtir le plus beau film de sa carrière, que certains critiques ont même qualifié de sorte de Taxi Driver (1976), la violence en moins certes, sauf si l’on considère le milieu glauque du sexe de l’époque comme étant violent.

 

A la manière d’Andy Warhol

C’est une excellente idée de ressortir ce film notamment parce qu’il permet de mieux faire connaître le talent de la réalisatrice, pionnière dans le cinéma américain indépendant et l’une des cinéastes les plus importantes du mouvement No Wave des années 80 à New-York. Elle est notamment connue pour son exploration audacieuse de thématiques liées à la sexualité, au désir et au pouvoir. Son travail est actuellement remis en avant par de nombreuses rétrospectives, notamment sur la chaîne Criterion ainsi qu’au « Museum of the moving image » de New York et récemment au Festival international de Sao Paulo. En outre, de nos jours, au moment où les mouvements féministes connaissent un regain de vigueur quelquefois mal maîtrisé ou mal orienté, ce film représente un pavé dans la mare puisque Bette Gordon montre le sexe crûment, et ne porte pas de jugement moral contrairement à certaines tartuferies contemporaines.

 

Plus d’un arc narratif dans ce film

Il faut donc découvrir l’univers glauque de New York et le film se veut aussi un peu le pendant de Macadam Cow Boy de John Schlesinger (1969) qui présentait le sexe et la prostitution du côté des hommes, avec son ambiance ambiguë et quelque peu sauvage. Ici, Christine accepte ce travail alimentaire de caissière de cinéma porno tout simplement parce qu’elle en a besoin, et ne se pose pas de cas de conscience. La réalisatrice ne veut pas non plus dénoncer un phénomène qui pourrait lui sembler obscène ou immoral. La présence de cette belle fille à la caisse, et parfois dans la salle ou le hall d’entrée, n’est nullement incongrue. Christine entend les cris de jouissance souvent féminins qui s’échappent de l’écran, voit les hommes qui entrent timidement ou brutalement pour acheter leur billet. Et c’est comme s’il y avait un grand mystère dans cette fascination autour du sexe qu’elle se doit de percer et de mettre au grand jour, le sortir en fait de cette salle obscure. Du reste, la célèbre photographe Nan Goldin joue son propre rôle dans le film sous le nom de Nan, comme pour attester de la véracité des splendides photos de Tom DiCillo, notamment le rose de l’hôtel Flamingo. Parce que ce film est aussi une œuvre d’art, il ne parle pas seulement de sexualité. Il est empli de signes et de messages ainsi que le fait remarquer la réalisatrice dans le dossier de presse du film : « J’ai éparpillé plusieurs indices pornographiques (les magazines, les sons, ou même les monologues de Christine), mais il faut les voir (et les entendre) comme constitutifs d’une histoire parmi d’autres. Il y a plus qu’un arc narratif dans le film : on parle aussi du chômage, de la connexion des syndicats avec la mafia, d’une arrestation de policiers… Dans les dialogues, on retrouve cette idée de récits multiples : « Tu veux une histoire, je vais te donner une histoire », dit ainsi Christine à son amie Nan dans la première scène. »

 

Réalisateur :

Acteurs : , ,

Année :

Genre :

Pays :

Durée : 100 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Dersou Ouzala

Dersou Ouzala

Oeuvre de transition encensée pour son humanisme, « Dersou Ouzala » a pourtant dénoté d’une espèce d’aura négative eu égard à son mysticisme contemplatif amorçant un tournant de maturité vieillissante chez Kurosawa. Face aux nouveaux défis et enjeux écologiques planétaires, on peut désormais revoir cette ode panthéiste sous un jour nouveau.

Les soeurs Munakata & Une femme dans le vent.Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Les soeurs Munakata & Une femme dans le vent.Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Dans l’immédiat après-guerre, Yasujiro Ozu focalisa l’œilleton de sa caméra sur la chronique simple et désarmante des vicissitudes familiales en leur insufflant cependant un tour mélodramatique inattendu de sa part. Sans aller jusqu’à renier ces films mineurs dans sa production, le sensei amorça ce tournant transitoire non sans une certaine frustration. Découvertes…

Dernier caprice. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Dernier caprice. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Le pénultième film d’Ozu pourrait bien être son testament cinématographique. Sa tonalité tragi-comique et ses couleurs d’un rouge mordoré anticipent la saison automnale à travers la fin de vie crépusculaire d’un patriarche et d’un pater familias, dans le même temps, selon le cycle d’une existence ramenée au pathos des choses les plus insignifiantes. En version restaurée par le distributeur Carlotta.

Il était un père. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Il était un père. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Difficile de passer sous silence une œuvre aussi importante que « Il était un père » dans la filmographie d’Ozu malgré le didactisme de la forme. Tiraillé entre la rhétorique propagandiste de la hiérarchie militaire japonaise, la censure de l’armée d’occupation militaire du général Mac Arthur qui lui sont imposées par l’effort de guerre, Ozu réintroduit le fil rouge de la parentalité abordé dans « Un fils unique » (1936) avec le scepticisme foncier qui le caractérise.