Une histoire simple (1978)

Article écrit par

Sautet met sa sensibilité et sa justesse au service d’un regard au féminin.

Le temps d’une remarquable série de films (Les Choses de la vie, 1969 ; César et Rosalie, 1972 ; Vincent, François, Paul… et les autres, 1974 ; Mado, 1976), Claude Sautet s’était fait le grand peintre de la psychologie masculine. Il explora ainsi sous toutes ses formes les travers d’un certain type d’homme, quarantenaire et souffrant des mêmes maux : coincé entre le machisme qu’on leur avait inculqué et une sensibilité qu’il n’arrivait pas à exprimer, indécis, aussi déterminé professionnellement que faible sentimentalement. Le cycle démarrait dans une flamboyance romantique totale, tragique ou optimiste (Les Choses de la vie, César et Rosalie), pour virer vers une résignation presque sans issue (Vincent, François, Paul… et les autres et surtout Mado). Les femmes, toujours en retrait, n’en constituaient pas moins des personnages forts et excellemment écrits mais n’étaient jamais complètement au centre de l’intrigue, plutôt les enjeux de la révolution que les hommes étaient prêt à faire pour gagner leur cœur.

 
 

 
 
Avec Une histoire simple (1978), Sautet opte donc enfin pour le récit au féminin à travers le regard de celle qui lui a inspiré ses plus beaux personnages de femmes : Romy Schneider. À l’inverse des hommes, les femmes apparaissent chez Sautet comme des êtres plus assurés, déterminés et donc soumis à l’inconsistance du sexe opposé. Le film s’ouvre d’ailleurs sur un choix fort de son héroïne Marie : avorter de l’enfant de l’homme avec qui elle vit (Claude Brasseur) car elle ne l’aime plus et va le quitter. Une décision incompréhensible pour l’éconduit puisqu’elle ne le quitte pas pour un autre et que « ça ne se fait pas de quitter quelqu’un comme ça ». Il ne saura d’ailleurs réagir réellement (et violemment) à cette rupture que quand il pensera que Marie fréquente un autre homme. Le script illustre ainsi la modernité du personnage de Romy Schneider dont les choix de vivre seule, d’avorter (le film étant d’ailleurs un des premiers à en faire un ressort dramatique alors que la loi Weil n’est en place que depuis 3 ans), se détachent d’une vision masculine dépassée, mais également féminine plus rangée lors d’une remarquable scène où les points de vue des amies diffèrent (Sautet capture d’ailleurs le quotidien de ses groupes féminins avec les mêmes sensibilité et naturel que les hommes dans les films précédents). Marie choisit de vivre seule quand son ex-mari est en concubinage car ne supportant plus cette solitude, le personnage d’Éva Darlan vit avec aplomb des aventures sans lendemain s’opposant à la détresse et la repentance là encore de son ex-mari qui pourtant l’avait quittée le premier.
 

Pour Sautet, l’homme est figé dans des certitudes dépassées quand la femme semble constamment capable de se réinventer. On retrouve ici les figures masculines typiques de Sautet avec ses hommes imposants et assurés dans les hautes responsabilités de leur carrière. Tous sont pourtant des faibles, que ce soient le gouailleur et speedé Claude Brasseur et surtout le tragique personnage de Jérôme (Roger Pigaut), dépressif et angoissé autant par la perspective de perdre son travail que de le conserver. On suit ainsi une Romy Schneider qui fait son chemin, suit ses instincts en se moquant des codes établis (l’entrevue avec sa mère la préférant auprès d’un homme qu’elle n’aime pas plutôt que célibataire) et illustrant ainsi une forme d’émancipation féminine forte dans la société française.

Là encore, Sautet se montre d’une rare finesse puisque s’il fait renouer Marie avec son ex-mari (Bruno Cremer), l’enjeu du film ne repose pas sur cette réunion (voir l’absence totale de dramatisation lors de l’ultime entrevue entre Bruno Cremer et Romy Schneider). Une telle conclusion contredirait le propos de l’ensemble en suggérant que la femme se doit d’avoir un « protecteur » par la force des choses, quand bien même tous se seront montrés faibles tout au long de l’intrigue. Au contraire, le film laisse notre héroïne dans une situation « indigne » mais qu’elle assume complètement, à nouveau enceinte et célibataire. Une facette signifiée par une magnifique image finale avec une Romy Schneider radieuse et prenant le soleil, libre et sans attaches, maîtresse de son destin. Une belle vision progressiste portée par Sautet et une performance d’une grande justesse de Romy Schneider qui lui vaudra son second César dans ce sommet de leur collaboration.

 

 

Titre original : Une histoire simple

Réalisateur :

Acteurs : , , , , , , , , ,

Année :

Genre :

Durée : 107 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Trois films de Pietro Germi sur fond de terre brûlée sicilienne

Trois films de Pietro Germi sur fond de terre brûlée sicilienne

Pietro Germi figure un peu comme un outsider ou, en tous les cas, le mal aimé du cinéma italien de l’âge d’or. Et les occasions de réhabiliter son cinéma enclin à la dénonciation sociale jugé parfois moralisant et édifiant mais toujours captivant et divertissant ne sont pas légion. Le distributeur Tamasa vient de pourvoir à cette injustice en sortant trois films invisibles en versions remasterisées.

Je suis un fugitif

Je suis un fugitif

Dans ce film glauque au pessimisme foncier, quasi ignoré et pourtant précurseur, Alberto Cavalcanti exhibe un monde sans héros; uniquement peuplé de manipulateurs veules et sournois, de malfrats sans foi ni loi, de femmes fatales, de harpies, de mégères ou d’épaves à la dérive. Ce film noir s’inscrit dans la lignée des nombreux films spiv britanniques, un sous-genre qui fit florès dans l’immédiat après-guerre. Redécouverte…