Un si doux visage (Angel Face – Otto Preminger, 1952)

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Otto Preminger dans ce qu’il fait le mieux : réfléchir sur le cheminement psychologique de ses personnages.

Un visage d’ange, ou plutôt, deux : celui de Robert Mitchum d’abord, incarnant Frank Jessup, un jeune ambulancier, mais surtout, celui qu’il rencontre une nuit alors qu’il intervient dans une riche demeure des hauteurs de Los Angeles. Ce visage est celui d’une jeune femme jouant du piano, impassible et sereine, alors qu’à l’étage sa belle-mère vient de frôler la mort. Une rencontre et déjà un rapport de force, leur entrevue se terminant sur un échange de gifles. Celles du médecin, prescrites pour calmer la crise de nerfs de la patiente, et celle qu’il reçoit en retour, la jeune femme n’étant pas prête à se laisser marcher sur les pieds.

Dès ce premier échange une hiérarchie s’installe. Celle-ci est d’abord sociale, d’un côté Diane Tremayne (Jean Simmons), riche héritière, et de l’autre Frank Jessup, davantage intéressé par la mécanique que par la médecine, économisant quelques dollars pour espérer un jour ouvrir un garage. Partant de ce clivage, Preminger construit ensuite chaque scène comme le déploiement de l’emprise de Diane sur Frank. Une emprise qui prend la forme d’un rapprochement amoureux, Frank s’éloignant de sa petite amie ; puis d’un contrat de travail, lorsqu’il décide de quitter son poste d’ambulancier pour devenir le chauffeur de la famille Tremayne, se retrouvant littéralement au service de Diane. Proposant une lecture du rapport de domination au sein du couple, Preminger utilise ainsi Mitchum à contre-emploi, sa prestance et sa carrure ne faisant pas moins de lui le personnage le plus faible, puisque, sans être totalement dupe des sinistres desseins de Diane, il n’est qu’un corps ne pouvant s’en dégager, impuissant face à la force d’attraction qu’elle représente. Plus que le thème de la manipulation, c’est donc la figure qui l’incarne qui sublime le film : cette énigme qu’est Diane.

  

 

Nourrissant une véritable haine pour sa belle-mère, qui ne trouve d’écho que dans l’amour qu’elle porte à son père, il ne fait rapidement aucun doute qu’elle souhaite sa mort. Pourtant, à l’écran, pas la moindre séquence de souffrance ou de persécution, rien qui pourrait nous permettre de mieux comprendre une telle aversion. Le cinéaste construit ainsi un personnage sans mobile apparent, simplement programmé pour accomplir l’irréparable. Son mouvement est mécanique, voire même ritualisé, comme le suggère le montage de la scène de meurtre, qui met en parallèle l’accident de voiture et le calme de Diane se mettant à nouveau au piano. La douceur de la mélodie devient alors le meilleur voile à l’horreur de l’acte venant d’être commis, tandis que le mystère entourant la psychologie de Diane reste total. Le procès s’ouvrant après la mort de la belle-mère et celle, conjointe et accidentelle, du père, place ainsi le spectateur dans une position aussi inhabituelle qu’inconfortable. Alors que la culpabilité de Diane ne fait aucun doute, son caractère imperturbable ainsi que l’incrimination de Frank concourent à lui offrir toute notre sympathie. 

De fait, si Diane illustre la tendance parfois misogyne du cinéma d’Otto Preminger, la complexité de son personnage ainsi que ses rapports avec Frank rendent cette lecture amplement insuffisante. Plus qu’une simple manipulatrice, le cinéaste nous présente une jeune femme en pleine perdition, que le mouvement fluide de sa caméra suit, lors d’une scène finale très forte, errant de pièces en pièces dans une maison vide à la recherche des fantômes de son passé : celui de son père mort et celui de son amant envolé. Ainsi, c’est bien l’idée de faux-semblant qui intéresse Preminger, qui, sans jamais la diaboliser, se penche sur la cruauté de Diane en interrogeant la part d’ombre cachée derrière le visage immaculé. C’est en cela que le film évoque Laura (1944), où le fantasme dont est l’objet une femme pensée morte se trouve par la suite confronté à la dure réalité de son existence.

Titre original : Angel Face

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Durée : 91 mn


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