Dès ce premier échange une hiérarchie s’installe. Celle-ci est d’abord sociale, d’un côté Diane Tremayne (Jean Simmons), riche héritière, et de l’autre Frank Jessup, davantage intéressé par la mécanique que par la médecine, économisant quelques dollars pour espérer un jour ouvrir un garage. Partant de ce clivage, Preminger construit ensuite chaque scène comme le déploiement de l’emprise de Diane sur Frank. Une emprise qui prend la forme d’un rapprochement amoureux, Frank s’éloignant de sa petite amie ; puis d’un contrat de travail, lorsqu’il décide de quitter son poste d’ambulancier pour devenir le chauffeur de la famille Tremayne, se retrouvant littéralement au service de Diane. Proposant une lecture du rapport de domination au sein du couple, Preminger utilise ainsi Mitchum à contre-emploi, sa prestance et sa carrure ne faisant pas moins de lui le personnage le plus faible, puisque, sans être totalement dupe des sinistres desseins de Diane, il n’est qu’un corps ne pouvant s’en dégager, impuissant face à la force d’attraction qu’elle représente. Plus que le thème de la manipulation, c’est donc la figure qui l’incarne qui sublime le film : cette énigme qu’est Diane.

De fait, si Diane illustre la tendance parfois misogyne du cinéma d’Otto Preminger, la complexité de son personnage ainsi que ses rapports avec Frank rendent cette lecture amplement insuffisante. Plus qu’une simple manipulatrice, le cinéaste nous présente une jeune femme en pleine perdition, que le mouvement fluide de sa caméra suit, lors d’une scène finale très forte, errant de pièces en pièces dans une maison vide à la recherche des fantômes de son passé : celui de son père mort et celui de son amant envolé. Ainsi, c’est bien l’idée de faux-semblant qui intéresse Preminger, qui, sans jamais la diaboliser, se penche sur la cruauté de Diane en interrogeant la part d’ombre cachée derrière le visage immaculé. C’est en cela que le film évoque Laura (1944), où le fantasme dont est l’objet une femme pensée morte se trouve par la suite confronté à la dure réalité de son existence.