Troppa grazia

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Comment une apparition peut changer le monde.

Foi, magouilles et compagnie

Gianni Zanasi, qui n’en est pas à son coup d’essai puisque, après avoir suivi les cours de Nanni Moretti, il a réalisé environ sept films, et fait honneur au cinéma italien qui est en train de prendre la relève de ses aînés, à la différence du cinéma français qui ne cesse de se perdre dans des pochades quelquefois grotesques. Troppo grazia va sortir le lendemain de Noël et ce n’est sans doute pas un hasard. De plus, il répond au film récent d’Alice Rochwacher, Lazzaro felice sorti peu de temps avant. Enfin, il est interprété par Alba Rochwacher, sœur cadette de la réalisatrice et actrice aussi dans son film. C’est d’ailleurs comme un fil d’Ariane qui se tisse entre ces deux films qui entrent profondément en résonance parce qu’ils n’hésitent pas à parler de foi, de magouilles et de résilience par l’amour et l’humour, voire la poésie.

 

 

Deux actrices dans la lumière

Dans un monde qui paraît exclusivement conduit (à sa perte) par des mâles – car il est difficile d’utiliser ici le mot « homme » qui a aussi un sens général pour l’humanité – souvent corrompus et sans scrupules – comme cela se passe exactement partout et pas seulement en Italie – deux actrices illuminent ce film et incarnent à la perfection deux personnages qui vont changer le monde. Bien sûr Alba Rochwacher, dans le rôle de Lucia (la lumière), mais aussi Hadas Yaron, dans le rôle surprenant de la Madone que Lucia, au début de ses apparitions, prend pour une migrante puisqu’elle porte un voile et semble miséreuse. Voici, sans aucun doute, un bon scénario, un sujet original traité magnifiquement de bout en bout et, du coup fort convaincant même pour des personnes qui seraient a priori hostiles à ce genre d’apparitions, qu’elles soient « réelles » ou dues à une sorte de « schizophrénie ». Il faut dire que Gianni Zanasi y parvient parce qu’il a aussi fait des études de philosophie et puis parce qu’il s’appuie sur l’interprétation superbe de tous ses acteurs, sur la photo parfaitement maîtrisée de Vladan Radovic, de la musique de Niccolo Contessa et de toute l’équipe qui a apporté à ce film beaucoup d’élégance et d’émotion. Avec une mention particulière à l’acteur Elio Germano, qui incarne Arturo, le compagnon de Lucia, et qui parvient parfaitement à faire sentir le changement que l’amour qu’il redécouvre va provoquer en lui, jusqu’au sacrifice.

Rencontre dans un supermarché

Que ce soit vrai ou anecdotique, Gianni Zanasi, dans le dossier de presse du film, s’amuse à raconter qu’il a eu, un jour dans un supermarché, une apparition. Non pas celle de la Madone, mais celle de son personnage Lucia qui marchait de telle sorte qu’elle semblait vivre son existence comme une corvée. Alors qu’il la suivait, une jeune femme voilée, d’un autre âge, s’est approchée d’elle et lui aurait dit : « Va et parle aux hommes ». Gianni Zanasi continue à raconter qu’il a tenté d’oublier cette scène, tenté d’oublier d’en faire un film. Mais Lucia lui apparaissait souvent, têtue et puissante, qui continuait à refuser les injonctions de la Madone parce qu’elle ne voulait pas parler aux hommes, prétextant que c’était plutôt le rôle de la Madone. Et de cela, il fera ce beau film.

 

 

« Le sentiment soudain et incongru du mystère »

On y retrouve certes cette anecdote, mais nous ne la divulguerons pas plus, les autres journalistes s’en chargeront sans doute, et ce sera dommage. Il faut simplement dire qu’il ne s’agit nullement d’un film chrétien, quoique… Pas plus d’un film politique, quoique… Le renouveau du cinéma italien tient sans doute au fait que les réalisateurs actuels n’ont pas peur d’aborder des sujets qui ne sont pas considérés comme consensuels, qu’ils prennent des risques, et c’est bien sûr de là que vient toute la force du cinéma qui nous a, ici, un peu laissés orphelins des grands cinéastes. Les Italiens ne renient pas leurs influences : Lazzaro felice s’inspire largement de l’humanisme d’un Vittorio de Sica, et Troppa Grazia de Nanni Moretti bien sûr, mais aussi parfois d’Ettore Scola qui aurait sans doute adoré un tel sujet. Car pour mettre en scène une telle histoire, il faut un peu de folie, beaucoup de travail, un maximum de talent et une patte. Gianni Zanasi possède tout ça. Avec un plus qui est le doute. Même s’il se défend d’avoir voulu faire un film sur la foi, le réalisateur a confié qu’il s’était posé mille questions avant de passer à l’acte. « Le sentiment soudain et incongru du mystère, confie-t-il dans le dossier de presse, notre vie qui est en contact avec un autre monde, même d’une manière banale : le mystère puissant et immobile d’une part, et notre quotidien désordonné de l’autre. Les questions profondes que nous ressentons, les réponses maladroites et aléatoires que nous leur donnons et, plus encore, les questions que nous évitons. Vérités et mensonges. »

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Durée : 110 mn


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