Tour de France

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Une confrontation entre deux réalités françaises qui déborde d’énergie et de tendresse.

Après Rengaine (2010) qu’il avait mis quelque neuf ans à réaliser tout seul, Rachid Djaïdani nous offre aujourd’hui un conte magnifique, pictural et musical, encadré par une productrice créative, Anne-Dominique Toussaint, et toute une équipe technique de choc. Avec, comme protagoniste principal, un Gérard Depardieu plein d’une humanité exemplaire qui fait du bien en ces temps sordides. Bien sûr, les esprits chagrins ne manqueront pas de relever des maladresses dans le scénario ou des incohérences. Tout ceci importe peu, le film est là, réalisé sous une forme de road-movie poétique qui nous conduit très loin de nos angoisses et de notre réalité quotidienne. Sur le choix du titre, particulièrement réussi, il est évident que le réalisateur veut nous conduire dans une visite de la France qui n’est pas vraiment exhaustive. "L’écriture est une boxe que je connais, déclare Rachid Djaïdani dans le dossier de presse. Une boxe à laquelle je me suis confronté avec mes trois précédents romans. Mais ce qui est intéressant dans l’écriture scénaristique, c’est qu’elle fait moins mal au ventre. Le bonheur vient surtout du fait qu’Anne-Dominique Toussaint a su m’apprivoiser, me permettre d’écrire avec mes cordes, avec ma boxe… Elle est une femme de coin du 7ème art, son second souffle nous pousse vers le dépassement. »

  

 

Quelques ports évoqués, quelques rencontres, mais ce qui se joue c’est cette confrontation entre deux réalités françaises que tout oppose et que Rachid Djaïdani va tenter de réunir : un homme seul, qui vient de perdre sa femme et dont le fils unique s’est converti à l’Islam et un jeune rappeur, formidable Sadek qui devient ici Far’Hook, qui va lui servir de chauffeur. On se doute aussi que le réalisateur, qui est aussi romancier, pense au célèbre manuel de lecture scolaire Le Tour de la France par deux enfants, publié sous le pseudonyme de G. Bruno en 1877 et que Jean-Luc Godard et Anne-Miéville portèrent à l’écran de télévision pour une série de douze émissions en 1978 sous le titre France, tour, détour, deux enfants. À la différence près qu’ici ce ne sont pas des enfants qui découvrent la France, mais deux hommes traqués, l’un par la solitude, l’autre par ses ennemis de la cité qui jalousent son rap. Ô tempora, ô mores. En effet, autres temps, autres mœurs, ici l’hostilité du départ va se transformer peu à peu en compréhension mutuelle, voire en amour quasi filial, au risque de déplaire aux âmes frustes qui n’aiment pas la sensibilité à l’écran. Le film déborde d’énergie et de tendresse, avec des moments d’humour – notamment Depardieu en rappeur -, de tendresse, d’amour fou et surtout de résilience, pour utiliser ce mot maintenant mis à toutes les sauces grâce à Boris Cyrulnik. Ce tour de France, qui n’a rien de cycliste on s’en doute, est accompagné de musiques, qu’il s’agisse de rap, de Serge Lama – dont la chanson Je suis malade est reprise au petit-déjeuner par Far’Hook au grand étonnement de l’autre -, pour nous tirer des larmes de mélancolie à l’écoute du célèbre Mon petit garçon par Serge Reggiani, que Gérard Depardieu reprend sur le générique de fin. Ne partez pas avant la fin, c’est sublime. « J’aime la musique, d’elle se dégage une émotion mystique…, continue le réalisateur. J’ai toujours envisagé Tour de France comme un film musical. Clément Dumoulin aka Animalsons a produit et composé la musique. Pour moi, c’est un nom cultissime, ses collaborations artistiques pour qui apprécie le rap sont anthologiques. »

Ce tour de France se fait parce que Gérard, aussi improbable que cela puisse paraître, ouvrier maçon veut partir peindre à son tour les dix ports de France que Joseph Vernet avait peints à la demande du roi Louis XV. Pour cela, son fils lui enverra sans le lui dire un ange gardien, en la personne de Far’Hook, jeune rappeur qu’il manage et qui est en danger dans sa cité. « J’ai la chance d’avoir un voisin, Julien Bonin, passionné de peinture, déclare encore le réalisateur. Il m’a parlé de Joseph Vernet, peintre marine du XVIIIe siècle chargé par Louis XV de peindre les ports de France. De là, je me suis intéressé à sa peinture dans les grandes lignes et ça m’a tout de suite parlé. Refaire son périple 250 ans après lui, c’est puissant car en même temps rien n’a changé mais… Et c’est troublant de se retrouver sur les points de vue de Vernet… Le faire ressusciter. » Tour de France est alors une sorte de fiction sur la peinture, dans de magnifiques plans qui n’ont rien à envier au célèbre Van Gogh (1991) de Maurice Pialat, car on se souvient en effet que, juste après Rengaine, Rachid Djaïdani avait réalisé en 2014 Encré, un documentaire de 73 minutes sur l’artiste Yassine Mekhnache.

 

 

Avec ses mains maladroites et précises à la fois, son solide coup de fourchette, sa délicatesse noyée sous des tonnes de chagrin et de ressentiment, Gérard Depardieu apporte au film une note à la fois anthologique et rassurante sur l’avenir de la France, sans toutefois faire de l’ombre au jeune Sadek qui s’avère être un excellent acteur. « Il n’y a pas assez de syllabes en émoi pour exprimer tout l’amour que j’ai pour lui, déclare Rachid Djaïdani au sujet de notre Gérard national, c’est un homme rare, c’est le Mohamed Ali du cinéma… Respect Tonton. » Film magnifique, inoubliable, qui vous change pour longtemps, il y a aussi dans ce Tour de France une dimension de lutte qui ne vous échappera pas, car en fait « rien n’est jamais acquis à l’homme ». « C’est un film qui boxe dur, mais l’air de rien. C’est comme Mohamed Ali qui baisse la garde, il y a toujours la remise derrière… Le film est une avalanche douce. Tu le vois, il est sympa, mais il t’emporte en fausse pente ! Ce film a une volonté de tendre la main, mais pas de se la faire manger. » À bon entendeur, salut.

Titre original : Tour de France

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Durée : 95 mn


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