Tonnerre arrive rempli de ces promesses, qu’il tient en grande partie, aussi bien par ce qu’il recycle d’Un monde sans femmes que par son audace d’essayer autre chose. Macaigne est ici Maxime, chanteur rock parisien déboulé à Tonnerre, patelin de l’Yonne où vit son père (Bernard Menez, cette fois seule évidence d’une filiation Rozier), pour y enregistrer son nouvel album. Les deux hommes vivent côte à côte plutôt qu’ensemble, et voilà qu’arrive Mélodie, jeune fille locale venue l’interviewer. Passion, rires, balades dans la neige, nuits qui s’étirent : puis Mélodie disparaît, peut-être parce qu’à vingt ans, l’amour ne dure qu’un temps. Maxime s’obsède, lui laisse des messages sur son répondeur, il cherche à comprendre. Ce personnage, un beau rôle, a été écrit par Guillaume Brac avec sa co-scénariste, Hélène Ruault, pour Vincent Macaigne, qui a été selon le cinéaste le point de départ du scénario. L’envie de le filmer est palpable, celle de lui donner autre chose à faire aussi : Brac lui donne ici une partition moins monolithique qu’à l’ordinaire, cherche la violence dans sa douceur, extrait l’autorité de sa timidité.
De là vient d’ailleurs le rythme un peu binaire du film, souvent entre deux eaux, qui semble hésiter entre ses vélléités romanesques et son aspect très réaliste. Car Brac entretient un rapport très concret au réel, à ce qui l’entoure et que, dans Un monde sans femmes, il mettait merveilleusement au service d’une histoire qui était plus un motif qu’une trame narrative, qui se nourrissait des petits accidents de la vie, aussi savamment mis en scène fussent-ils. Tonnerre reprend le même modus operandi – tous les acteurs, à l’exception des quatre principaux, sont non professionnels -, mais en le poussant plus loin, jusqu’à ce qu’il se heurte contre les bords ici très délimités du récit. Le film fonctionne en plusieurs temps : comédie sentimentale d’abord, drame puis film noir ensuite, il brouille et mêle les genres sans les maîtriser tout à fait, en partie à cause d’une mise en scène assez rigide qui ne les laisse pas se contaminer entre eux. Ainsi, le renversement scénaristique au deux-tiers du film tient de la déception, moins par la direction qu’il fait prendre à la narration que par son exécution un peu pataude.
C’est pourtant dans cette même rupture de ton que se niche la vraie audace de Brac, qui ne se contente pas d’appliquer les mêmes formules à la lettre. Tonnerre n’a pas peur d’une réelle noirceur (la scène cruelle du commissariat), déjà présente dans Un monde sans femmes mais en sourdine, comme étouffée sous l’humour et la mélancolie. Le cinéaste réussit par ailleurs (beaucoup) de vraies belles choses : l’évolution du lien père-fils, idéalement contenue dans un mélange de burlesque et de gravité, ou la confession poignante par un viticulteur de pulsions mortifères, scène pivot du récit et la plus réussie du film. C’est la manière dont Brac peint la vie quotidienne qui touche et séduit le plus, celle avec laquelle il filme avec une grande lucidité le “tenter de vivre” et le temps qui s’effrite. L’écriture de personnages aussi attachants qu’ambigus font de Tonnerre, et de son cinéma en général, l’un des plus sensibles et des plus délicats du moment.