Rarement film fut plus attendu par la communauté cinéphile que le nouvel opus de Terrence Malick. Il faut dire qu’à la manière d’un Kubrick en son temps, il cultive brillamment l’art de se faire désirer. The Tree of Life relève d’ailleurs d’un crescendo évident dans l’ambition depuis le début de sa seconde carrière amorcée avec La Ligne Rouge. Cinéaste légendaire culte et oublié, il revenait aux affaires sans prévenir en 1998 avec ce sublime poème pacifiste et introspectif. La majestueuse confirmation du Nouveau Monde en 2006 l’élevait alors en Maître établi et désormais attendu par le grand public. Logiquement, The Tree of Life, précédé d’une fascinante et mystérieuse bande annonce, s’annonçait donc comme le grand œuvre du cinéaste (les premières comparaisons avec 2001 se profilant, ce qui n’est jamais bon signe…), celui qui devait l’imposer comme le génie de son temps. Si les attentes étaient légitimes, le vrai problème de The Tree of Life semble être que pour la première fois Malick en serait un peu trop conscient…
La force de tous les films de Malick, c’est de toujours maintenir leur propos à hauteur humaine. Toute la symphonie de sensations qu’il se plait à exploiter à travers la communion ou le conflit des personnages avec la nature, l’élégie ou la fureur de ses atmosphères, tout cela accompagne toujours les états d’âmes de ses héros. On peut évidemment trouver un fossé entre la minceur de ce qui est raconté et la grandiloquence des images (surtout sur Les Moissons du Ciel) mais cela sert toujours l’intériorité et le parcours initiatique des figures que l’on accompagne durant le récit. Ce décalage entre visions grandiloquentes et récit modeste confère finalement une forme de naïveté et de plénitude qui atteindra une forme de perfection avec La Ligne Rouge, où ces deux facettes s’inversent parfois et/ou s’équilibrent magnifiquement. Cette tendance semblait s’atténuer avec Le Nouveau Monde, mais le film demeurait poignant et somptueux de bout en bout.
Le problème de The Tree of Life est d’oublier ces précieuses vertus ayant fait la réussite des films précédents pour donner dans une tonalité hypertrophiée sur tous les points. Le dialogue entre multiples voix off de La Ligne Rouge exprimait finalement la colère, le doute et la peur du soldat, de l’homme face à une violence qui le dépasse. L’écho de ces voix entre elles servait un propos, une vision du monde. On serait bien en peine d’en dire autant ici, où cette multiplicité débouche sur de l’émerveillement vidé de son sens par du grandiose de façade. The Tree of Life se pare donc de diverses temporalités (les origines du monde, l’enfance et le présent de Jack) s’entrecroisant sans qu’on en saisisse la raison profonde et le pouvoir immersif de Malick ne suffit plus à masquer la supercherie. Pour les passages au présent, on aura donc Sean Penn traversant les buildings high tech la mine hébétée, censé autant réagir au souvenirs douloureux de son enfance qu’à la nage d’un têtard à l’aube de l’humanité. Quant à cette fameuse partie des premiers temps de la vie sur terre, elle est d’un ridicule absolu. Entre explosion cosmique de galaxie, dinosaure en vadrouille et paysages naturels à la sauvagerie indomptés, le tout s’avère terriblement pompeux. La vision objectivement religieuse voulue par Malick, qui aurait pu être intéressante, s’englue donc de clichés malheureux en dépit d’un beau score d’Alexandre Desplat.
On comprend où veut en venir le cinéaste en cherchant à produire du sens par la seule force de l’image, mais d’autres on mieux su le faire que lui. Le film documentaire Baraka de Ron Fricke ou précédemment la trilogie des Qatsi (Koyaanisqatsi, Powaqqatsi et Naqoyqatsi) avaient réussi le pari de narrer une Histoire du monde par l’association d’images de paysages inouïs, de peuplades tribales et de décors modernes avec un pouvoir d’évocation peu commun. Pour rester dans la fiction, Tarsem Singh réalisait en 2006 The Fall, où une histoire poignante et intimiste côtoyait des décors naturels tellement stupéfiants qu’on les pensait issus d’une autre planète.
Reste donc la partie principale sur cette famille américaine dominée par Brad Pitt. Et on voit là quel chef-d’œuvre on a raté, tant ce passage s’avère époustouflant. Un père ambitieux, aimant mais aussi intimidant et dominateur. Une mère douce, aimante, enfantine mais trop laxiste. Des enfants et surtout un fils aîné perdu dans ses contradictions partagées entre la Nature et la Grâce. La seule vraie odyssée du film se trouve bien ici, Malick dépeignant naissances, premiers pas et incompréhensions des membres de cette famille si lointaine et si proche… Brad Pitt est d’une présence imposante, chaleureuse et angoissée à la fois et délivre une prestation magistrale. Jessica Chastain est quant à elle évanescente, rassurante et rêveuse à souhait en mère fragile. Leurs joies, peine et doute face à la vie et leurs enfants envoûtent de bout en bout, le verbe se fait rare et toujours juste avec des voix off perdant de leur mysticisme déplacé. Un moment sans parole bouleverse même totalement par la simplicité de l’émotion qu’il éveille, lorsque les deux frères se réconcilient dans un jeu de regard poignant, où le montage joue du rapprochement corporel pour signifier la fin de leur dispute.
Un morceau de cinéma époustouflant noyé dans un océan de prétention : Malick déçoit pour la première fois mais laisse encore l’espoir de nouveaux chefs-d’œuvre, s’il revient à de plus modestes ambitions.