The Lost City of Z

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La fuite vers un horizon, un rêve passé et inatteignable.

Z, en mathématique comme ailleurs, est généralement associée à l’inconnu. Vingt-sixième lettre de l’alphabet latin, elle apparait comme son achèvement, sa limite. Après tout, pourquoi ne pas voir en Z l’abréviation de zero ? Soit le néant, soit le commencement de toute chose. Si les détracteurs de Percy Fawcett, peu convaincus par l’ambition de son entreprise – retrouver une cité perdue en Bolivie alors qu’il devait mettre la main sur un filon de caoutchouc particulièrement lucratif -, partagent le premier avis, Fawcett parle de Z commme étant peut-être la pièce manquante de l’humanité. Plus qu’une conviction, c’est une obsession qui traversera jusqu’à sa mort le héros du dernier James Gray.

 

Au début du film, le major Fawcett est un carriériste dans l’armée britannique qui, faute d’un père joueur et buveur, ne peut prétendre à gravir les échelons. Renvoyé constamment à sa propre image au détour d’un plan repiqué à Citizen Kane, celui d’un miroir démultipliant son reflet, le major apparait comme ne pouvant pas appartenir à ce monde. Ce plan, clôturant une séquence de bal où un officier plus gradé vient de lui prendre sa femme comme cavalière, apparait comme étant tout à fait ancré dans le dix-neuvième siècle finissant. La trajectoire de Fawcett commence peut-être déjà à se profiler au terme de cette séquence : plus que de quitter l’Irlande, où il officie depuis un bon nombre d’années, le principal enjeu serait de s’extirper de l’esprit empesé de l’Angleterre victorienne pour entrer de plein pied dans le nouveau siècle qui s’annonce.Le couple formé par Percy et Nina apparait comme un couple progressiste : elle, indépendante et soucieuse de la position qu’elle occupe en tant que femme. A ce niveau-là, les contradictions de Percy vont faire surface au détour d’une séquence de dispute, où Nina cherche à le persuader de l’emmener avec lui pour un second voyage en Bolivie. Lui refuse, arguant qu’elle n’a pas la condition physique nécessaire, et que les hommes et femmes ne sont qu’égaux spirituellement. Cruelle ironie pour Percy, qui choisit alors Murray – un membre influent de la RGS, au passé d’explorateur au Pole Sud – pour l’épauler dans cette expédition, qui, par son comportement et ses préjugés, sera à deux doigts de faire capoter la mission à cause d’une septicémie. Trop engoncé dans ses préjugés raciaux, Murray ne comprend pas l’attention de Percy qui cherche à rentrer en contact avec les indiens, à établir le contact. L’explorateur est à ce moment sorti de l’héritage colonial dans lequel il était pris, et cherche à s’extirper des méthodes de l’Empire britannique.

Bien sûr, tout n’est pas si simple, car le dilemme, le déchirement des personnages est toujours de mise chez James Gray. Retourner dans le jungle n’est pas difficile, voyager ne l’est plus. Percy est comme partout chez lui. Mais sa famille (davantage son fils aîné) lui reproche de ne plus être suffisamment présent. Percy est déchiré entre son désir d’ailleurs, ses obligations envers l’armée, et sa propre famille. Première véritable figure de père chez James Gray, qui suivait davantage les fils comme protagonistes principaux, Percy tente de s’extirper de l’héritage que son géniteur lui a laissé pour en créer un nouveau à son tour, mais son obsession devient alors celle de son fils, et finit par contaminer toute sa famille. Son fils aîné n’aura pas l’occasion d’effectuer ce que Percy a voulu faire avec son propre père. Le voyage, le dernier du film, que les deux hommes entreprennent, est alors fortement déceptif : alors que Percy s’attendait à retrouver l’opéra qui jouait Cosi Fan Tutte, il ne tombe que sur les ruines de ceux-ci. Confronté à son propre imaginaire, comme les européens confrontés à leurs préjugés sur la jungle. Elle est imprévisible, sans cesse changeante, mystérieuse.

The Lost City of Z n’est pas de ces récits d’aventures type Aguirre ou Apocalypse Now, films auxquels il a été souvent comparé – autant par les critiques que son réalisateur. The Lost City of Z s’attache à peu de choses: des traces, des signes, en somme rien de spectaculaire. Si ce n’est la performance vocale de Charlie Hunnam, dont le personnage est un orateur hors pair, et particulièrement convaincu que le dialogue et la rhétorique sont ses armes les plus efficaces. Il faut entendre les séquences où la voix de Hunnam passe au dessus d’une foule, et suffit plus tard à motiver un régiment de poilus. Fawcett passe une bonne partie du film à négocier, autant avec les indiens qu’en Angleterre. Puis, c’est son fils aîné, qui suit le chemin du père en convaincant sa mère de les laisser partir. Peut-être assiste t-on depuis quelques années à une nouvelle figure du cinéma américain, celle du négociateur. Bien que les séquences de négociations soient déjà présentes dans les films de James Gray (le dénouement de The Yards tient à un face à face entre les deux entreprises ennemies) pour rétablir un certain équilibre dans une situation apparemment sans issue, il fallait que l’un des personnages abandonne la position qu’il occupait jusqu’alors dans le récit, basculant littéralement de l’autre côté. Ici, Fawcett ne cherche pas à échanger sa place avec ceux avec qui il négocie : il n’est pas plus aristocrate qu’indien adopté. Ainsi s’éloigne t-il d’explorateurs tels que Lawrence d’Arabie, qui tendent à une dissolution de leur identité première dans un peuple d’adoption. Fawcett se situe à un autre niveau, celui qui ferait le lien entre passé et futur, pas tout à fait dans l’avenir car oeuvrant pour l’avenir. D’où cette trajectoire qui consiste toujours à franchir des frontières, celles de l’Empire, celles d’un océan, d’un fleuve, de la vie et de la mort. Quitte à en laisser derrière, comme Nina, qui s’enfonce elle aussi dans le reflet d’une jungle à la toute fin du film. La véritable tragédie chez James Gray n’est pas la mort, mais ceux qui restent.

Titre original : The Lost City of Z

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Durée : 140 mn


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