The Ghost Writer

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Un thriller tout en tension, plus personnel qu’il n’y paraît de prime abord. Roman Polanski manie aussi bien l’élégance que l’ironie. Ours d’argent au Festival de Berlin 2010.

D’abord, et pour tout dire, il y a la tension dramatique. Soutenue, permanente, confondante. Cette opacité hypnotique et joueuse, que seule (ou presque) la dextérité d’Hitchcock a su imposer au récit cinématographique. "Great" ! Impossible, ici, de s’y soustraire, que l’on soit cinéphile vétilleux ou spectateur juste ravi. Ensuite, comme après-coup, percent l’ironie, le clin d’œil tragicomique, l’effet de miroir du nouveau film de Roman Polanski. Reste que cette seconde lecture ne brouille pas nécessairement l’efficacité primaire, superbe, de son thriller. Et c’est tant mieux !

Bon, d’accord : ça n’est pas complètement un hasard si le cinéaste célébré du Pianiste a choisi de rebondir sur ce jeu de pistes grinçant, évoquant "mine de rien" le lynchage médiatique d’une icône (un ex-Premier ministre, en l’occurrence). Et ça n’est pas neutre, non plus, si ce personnage charismatique et britannique – hello Tony Blair ! – est forcé de rester aux Etats-Unis pour échapper à la justice de son pays. De l’usage du contrepied… Mais pour mémoire, rappelons qu’avant d’être son film, The Ghost Writer a d’abord été le roman du journaliste politique Robert Harris (L’Homme de l’ombre). Et, surtout, que Polanski l’a réalisé avant d’être interpellé par la police helvète en septembre dernier, rattrapé alors par la justice américaine qu’il fuit depuis plus de trente ans.

Donc ? Donc nul sens de la divination – et nul plaidoyer pro domo surtout – pour cet artiste aux vies multiples et polémiques. Juste une inclination habile et élégante pour la transcendance : ce que l’on appelle, littéralement, la mise en scène (et ce que l’on attend d’un bon cinéaste, quel qu’il soit). Que l’on ne s’y trompe pas : on connaît trop l’implication de cet homme d’images dans l’élaboration du scénario – son tandem avec feu Gérard Brach fait aussi partie de sa légende – pour ne pas s’attendre, ça et là, à des pistes à double détente. Évidemment. En outre, puisqu’il a achevé la post-production de son long métrage à distance, de sa prison dorée de Gstaad, là même où il est assigné à résidence, on devine que cette situation extrême a forcément influencé son "final cut". Est-ce bien utile, pour autant, de débusquer une mise en abîme derrière chaque dialogue ou chaque plan ? Sûrement pas. Car une fois posé ce contexte (singulier, en effet), il n’en reste pas moins que The Ghost Writer est, d’abord et avant tout, un film noir d’excellente facture !
 

   
Classique et classieux

Pour preuves, ses références non seulement assumées mais diablement maîtrisées aux classiques du genre. Or donc, voici un héros ordinaire, naïf, sans attaches mais attachant (le fameux "nègre" un rien "loser", finement interprété par Ewan McGregor) qui se trouve plongé au cœur d’un jeu politico-médiatique tordu à souhait. Aux frontières du réel (Blair et son engagement aveugle dans la guerre en Irak), de la fiction (l’ex-Prime minister est dévoré par la passion du théâtre pendant ses années de fac, tiens donc, les politiques seraient-ils des marionnettes ?) et de la satire.

Dépassé le joli candide ? Il l’est forcément – et nous avec, le récit étant mené à la première personne – quand bien même il tente de déceler la logique de cette curieuse affaire : voilà pour le suspens, jalonné de roueries et de faux semblants. Cherchez la femme, alors ? "Of course, dear !", puisque comme dans tout bon polar à la Chandler, c’est elle la maîtresse trouble de ce jeu en forme de spirale. Coup de chapeau, d’ailleurs, aux deux comédiennes impeccables, presque impénétrables, que sont Kim Catrall et Olivia Williams. Est-ce à dire que ce Ghost-Writer serait un Polanski par trop sous influence(s) ?

Sans doute, les amateurs de ses premiers longs métrages n’y retrouveront pas leur inquiétante étrangeté et/ou leurs cadrages paranoïaques. En revanche, ceux qui s’ennuient quelque peu, depuis 2002, face à l’académisme plus convenu du Pianiste ou d’Oliver Twist, se réjouiront de ce sursaut bienvenu dans la noirceur. En effet, l’un des grands atouts (et attraits) de ce nouvel opus, c’est son sombre décor insulaire, sa météo dépressive, battue par les vents (le jardinier qui s’entête, tel un Sisyphe balnéaire, à vouloir balayer la terrasse). Son univers de bord de mer et de plages à l’abandon au fond, avec ses vieux témoins bizarres, surgis de nulle part, son atmosphère de ports et de ferries noctambules comme autant de trafics et de transits possibles : c’est peu dire qu’un sentiment oppressant d’isolement, voire de cul-de-sac (tiens tiens…), prédomine tout le long.

En cela, The Ghost Writer rejoint bien les thématiques originelles, obsessionnelles, de l’insondable monsieur Polanski. Cinéaste cohérent… dans l’ambiguïté (du mal, notamment). De fait et pour finir, l’extraordinaire maison où se terrent, sur cette île tempétueuse, le Premier ministre et son staff, cette villa-bunker ressemble autant à un refuge qu’à une prison. Dont il faudra bien sortir un jour, pour affronter la vérité, quel qu’en soit le prix… Espace glaçant et métonymique, tout en contrastes (d’un côté, le béton labyrinthique de son architecture moderne, de l’autre ses immenses baies vitrées qui ne laissent entrer, pourtant, que peu de lumière et de transparence) : elle est idéalement emblématique du trouble distillé par le film. Tout simplement parce qu’elle s’inscrit dans la tradition du thriller "hitchcockien", s’imposant comme la figure fascinante d’un dispositif embrouillé mais impeccable, et qu’elle entre aussi, parallèlement, inévitablement, en résonance avec la vie réelle du cinéaste aujourd’hui.

Titre original : The Ghost Writer

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Durée : 128 mn


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