The Cloverfield Paradox

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Sorti sans prévenir sur Netflix, « The Cloverfield Paradox » souffre d’un scénario plus que bancal qui donne l’impression d’un film bâclé.

Il va falloir s’y habituer, de plus en plus d’affiches de films n’indiqueront plus une date de sortie en salles mais la date de sortie Netflix. C’est le cas de The Cloverfield Paradox, sortie surprise de l’année 2018, autant pour les spectateurs que pour ses propres acteurs : David Oyelowo, Daniel Brühl, Chris O’Dowd, ou encore Zhang Ziyi ont été informés de la sortie et du titre du film lors d’une conférence téléphonique avec J.J Abrams quelques heures avant le Super Bowl. En alliant l’art du teasing d’Abrams aux méthodes de production de Netflix, The Cloverfield Paradox interpelle finalement plus en tant qu’objet commercial que comme objet filmique.
 


Le style Bad Robot

C’est donc durant le Super Bowl – grand messe du sport américain qui voit le prix des pubs exploser – que les téléspectateurs ont découvert le teaser du nouveau Cloverfield et sa date de sortie. Soit le soir même, sur Netflix. Le lapin qui sort du chapeau, un tour toujours surprenant qui étonne moins quand on sait qu’il vient du producteur J.J Abrams. Le réalisateur de Lost n’en est pas à son coup d’essai puisqu’il avait déjà fait le coup avec la promotion du premier Cloverfield. Le premier teaser de l’épisode originel est dévoilé avant les projections de Transformers (Michael Bay, 2007), et les images ne livrent pas beaucoup d’informations : une scène de fête qui tourne au chaos après une énorme explosion dont la Statue de la Liberté fait les frais, le tout en mode found footage. Aucun titre, juste une date de sortie. Il n’en faut pas plus pour que les esprits s’échauffent et que chacun y aille de son opinion : un nouveau Godzilla, un spin-off de Lost, voire une adaptation de Lovecraft – monstre oblige. Le teaser, voire l’objet filmique dans son ensemble, pour J.J Abrams est une autre version de sa fameuse « mystery magic box ». Enfant, il avait acheté une telle boîte dans un magasin de magie, pour ne jamais l’ouvrir : « Pourquoi ne l’ai-je jamais ouverte et pourquoi l’ai-je gardé ?…Elle représente des infinités de possibilités. Elle représente l’espoir. […]. Et je me rends compte que le mystère est un catalyseur de l’imagination…Quelles sont les histoires au-delà des boîtes mystères ? »

Netflix à la rescousse

En lisant plusieurs articles, français ou américains, il apparaît que The Cloverfield Paradox n’aurait jamais dû voir le jour. Le projet s’appelait encore God Particle quand la Paramount envisageait une sortie cinéma pour le mois d’avril. Si les deux premiers volets avaient coûté entre 15 et 20 millions de dollars, le troisième atteint lui, la somme de 50 millions, budget marketing non compris. Un réel problème quand un coup d’œil au produit fini ne laisse pas augurer de retour sur investissement…mais bien plutôt calibré pour se faire bâcher par la critique et le bouche à oreille. C’est là qu’intervient Netflix, cavalier blanc renifleur de bons coups car le nombre de spectateurs, la plateforme s’en moque pas mal : ce qui compte le plus c’est d’alimenter le catalogue et de rester au centre de l’attention. Et pour cela, elle achète le film à la Paramount pour 50 millions de dollars et retravaille le scénario pour le faire entrer dans la saga Cloverfield (chiffre avancé par le Hollywood Reporter) : une opération gagnant-gagnant qui voit le studio hollywoodien rentrer dans ses frais (d’autant plus qu’il conserve notamment les droits pour les suites et pour le marché chinois) et Netflix s’offrir une nouvelle campagne de promotion à moindres frais – en ajoutant tout de même les cinq millions pour le spot du Super Bowl – avec un film livré clés en main, prêt à être diffusé du jour au lendemain. Que l’on en dise du bien ou du mal, l’essentiel est que l’on en parle. Evidemment, tout le monde n’est pas convaincu par la démarche. Ainsi dans Vanity Fair, un directeur de production d’un studio rival commente l’affaire : « Imaginez, vous êtes un studio et vous avez un mauvais film. Maintenant vous pouvez le vendre à Netflix ; ils dépensent cinq millions dans le marketing et vous avez cent millions de spectateurs potentiels. Et peu importe si c’est de la merde. » De la merde peut-être pas, mais un film médiocre sûrement.
 

Deux films en un

Après le huis-clos dans un Manhattan dévasté (Cloverfield, Matt Reeves, 2008), après le huis-clos dans un bunker (10 Cloverfield Lane, Dan Trachtenberg, 2016), voici donc venir le huis-clos dans l’espace. Nous sommes en 2028, la Terre traverse une crise énergétique sans précédent. Le monde va mal, la preuve : les gens font la queue devant les stations-services. Pour éviter qu’une troisième guerre mondiale n’éclate, une équipe internationale composée de divers scientifiques est envoyée à bord d’une station spatiale avec un accélérateur de particules capable d’inverser la donne. Certains s’en inquiètent, car une telle décharge pourrait bien briser le continuum espace-temps et ainsi créer une collision inter dimensionnelle. La collision se produit effectivement et ce jusque dans la structure même du film.

Si deux réalités finissent par s’opposer dans le vaisseau où deux dimensions luttent pour exister, deux films tentent également de cohabiter au sein d’un seul. D’un côté, un survival spatial tout ce qu’il y a de plus classique – voire de plus vu et revu avec beaucoup d’Alien par-ci, un peu de Gravity par-là (la scientifique en deuil – Alfonso Cuaron, 2013), peut-être un brin d’Evil Dead 2 (Sam Raimi, 1987) et trop de films de science-fiction à base de Russes très méchants et un peu tarés. A cet égard, la caractérisation des personnages est digne d’une blague un Irlandais, une Chinoise et un Allemand sont dans un vaisseau spatial, que se passe-t-il ? Et dans ce survival tentent donc de s’insérer – au pied de biche – des liens avec le Cloverfield Universe qui tombent souvent comme un cheveu sur la soupe et créent des nœuds au cerveau pour tous ceux qui essaieraient de reconstituer une chronologie cohérente. C’est là que rentre de nouveau en scène la boîte mystère d’Abrams. Tout se passe comme si le film existait seulement pour être déchiffré comme un code et relié à l’univers de son producteur. L’ensemble compte moins que ses parties et ses détails, un peu comme une gigantesque chasse au trésor pour fans. Un générateur de théories. Un fan s’est ainsi amusé à visionner Cloverfield et The Cloverfield Paradox pour découvrir ceci : il se passe quelque chose à 18 minutes et 20 secondes dans les deux films. Le moment où l’équipe de scientifique arrive à faire fonctionner le rayon à particule correspond au moment où New York est plongée dans le noir. Le film n’est qu’une boîte.

Malgré des audiences plutôt décevantes sur Netflix, un quatrième volet est d’ores et déjà dans les tuyaux. Avec des nazis dedans…

 

Titre original : The Cloverfield Paradox

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Durée : 102 mn


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