Sympathy for Delicious

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Avec un acteur inconnu et brillant servi sur un plateau et un scénario atypique travaillé avec justesse et parcimonie, Mark Ruffalo signe un premier long métrage plein de promesses.

L’acteur Mark Ruffalo aura mis près d’une décennie pour sortir son premier film. Marqué par les difficultés financières, Sympathy for Delicious a profité de ce retard pour poser les jalons d’une réalisation d’une grande justesse doublée d’un scénario étonnant. Écrite par Christopher Thornton, l’acteur principal et ami de Conservatoire du réalisateur, l’histoire est inspirée de son combat contre le handicap. Tétraplégique depuis un accident de randonnée, il n’a jamais perdu de vue son rêve de monter sur scène et de pourquoi pas adapter son scénario écrit il y a 10 ans. En lisant ses 198 pages, Mark Ruffalo a tout de suite su qu’il voulait réaliser ce film malgré « un acteur en fauteuil roulant que personne ne connaissait ». Ici, les rares acteurs de renoms, Juliette Lewis, Orlando Bloom, Laura Linney et Noah Emmerich, sont relégués au second plan servant de soutien au jeu d’une grande sincérité de Christopher Thornton.

Dans les bas-fonds de Los Angeles, une cour des miracles a élu domicile protégée par une paroisse portée à bout de bras par le père Joe (Mark Ruffalo). Skid Row est un quartier pauvre où se côtoient les laissés-pour-compte de la société (chômeurs, orphelins, handicapés et autres clopin-clopant) au milieu de carcasses de voiture et cabanes de fortune. L’image aux tons jaune et beige enrobe ses êtres sales et poussiéreux comme un nuage de sable chargé de les effacer du paysage. La ville apparaît comme un personnage à part entière nourri de blessures, tentant de sortir d’une torpeur ambiante. Le ton est donné. Au milieu de ce marasme suintant, un tétraplégique roule de rue en rue, partageant ses journées entre rêveries, repas servis par l’église et musique. Dean O’Dwyer alias Delicious D, est un DJ doué et inspiré. Replié sur lui-même, vêtu de tee-shirts fades et déchirés, cheveux mi-longs toujours recouverts d’un bandana, il doit apprendre à aimer les autres et s’aimer soi-même quand il découvre accidentellement son don. Dean a le pouvoir de guérir les gens par imposition des mains. Le miracle opère sur tous ceux qui l’entourent sauf sur lui. Mark Ruffalo aurait pu profiter de cette fatalité pour tirer le film vers un drame sur fond de réquisitoire religieux. Bien au contraire, il passe rapidement sur cette dure réalité pour orienter la dramaturgie sur cet instrument de Dieu qui devient l’instrument d’un groupe pour finir par apparaître comme un outil lucratif.

 

La personnalité de Dean et le jeu de Christopher Thornton vont alors évoluer vers une noirceur, une envie de conquête, et une quête de l’existence de tous les instants. Assis dans son fauteuil, réduit à un état de contraintes physiques, il avait jusque-là le dos courbé, le regard baissé et les mains ramassées sur son ventre. Il va pourtant se redresser, devenir plus grand, plus imposant, maître de son destin pour contrer les agissements d’un prêtre dont l’âme se rapproche plus du Diable que de Dieu. Aveuglé par la fortune, Joe passe du père des pauvres au père des cordons d’une bourse qu’il tient d’une main de maître. Mark Ruffalo se glisse avec aisance dans la peau de ce père dont les ailes se consument au contact des dollars. Son visage angélique d’apôtre, sa moue dubitative et son regard doux se transforment petit à petit révélant une personnalité noire et méprisable. D’un côté son personnage nous étouffe et anéantit l’image angélique de l’Église, de l’autre Delicious D soulève les foules et apporte une profonde bouffée d’air frais au film.

Révolté, il rejoint un groupe de rock et devient alors un monstre de foire, sorte de plus-value à cette formation rock (menée par Orlando Bloom) qui n’arrive alors plus à réunir les fidèles. À l’image des concerts de rock survoltés, motivés par l’hystérie des fans, ceux de The Stain atteignent des sommets grâce au don de Dean pratiqués en direct sur scène pendant qu’Orlando Bloom fait entendre ses mélodies hard. La comparaison avec les cérémonies gospel est inévitable. La puissance de la musique doublée de celle de son don atteint les malades qui rentrent dans une frénésie convulsive, les yeux remplis de révulsion et d’espoir. Ces scènes, saisissantes et fougueuses, sont l’essence même de Sympathy for Delicious et rendent compte de l’interprétation captivante de tous les acteurs.

Sympathy for Delicious a fait le pari réussi d’utiliser le handicap d’un acteur afin d’apporter au scénario réalisme et émotion sincères. Partagé entre l’amour de Dieu et l’amour de l’argent, il met le doigt sur les démons de l’homme en quête constante de reconnaissance ; et pour les plus gourmands, d’une notoriété soudaine, quitte à se perdre dans ce parcours initiatique. Malgré seulement 23 jours de tournage, Mark Ruffalo a néanmoins réussi à soigner cette première réalisation, offrant un dénouement surprenant nous laissant bouche bée. À quand le prochain ?

Titre original : Sympathy For Delicious

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Durée : 97 mn


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