En adaptant le chef-d’oeuvre de Jack Kerouac, « Sur la route », Walter Salles prenait un gros risque. Pari réussi.
(…) mais qui flambent, qui flambent, qui flambent
comme des cierges d’église jaunes, effilés, dont
le coeur brûle bleu dans la nuit. Jack Kerouac in Sur la route
L’adaptation au cinéma d’un chef-d’œuvre de la littérature mondiale est chose rare et compliquée. Pour la simple et bonne raison que la Littérature – la « grande » s’entend – est au-dessus de tout. Pas même le septième art et ses plus grands serviteurs ne pourront égaler la puissance d’évocation d’un grand livre, l’émotion qu’il peut transmettre au lecteur et la faculté de nourrir les rêves de ce dernier, à l’infini. Pour autant l’exercice n’est pas interdit. Aussi difficile que cela puisse paraître, il est tentant d’essayer de retranscrire un grand livre à l’écran. C’est ce que vient de réaliser Walter Salles avec Sur la route, le grand roman américain underground des années cinquante. Et disons-le d’emblée, le pari du cinéaste brésilien est gagné.
Sur la route était réputé inadaptable au cinéma. Francis Ford Coppola qui possède les droits du roman depuis trente ans avait déjà proposé le projet à Jean-Luc Godard et Gus Van Sant – rien que ça, mais en vain. C’est finalement Walter Salles qui en 2010 va s’attaquer à cet incroyable défi, non sans avoir préalablement, pour s’imprégner au maximum de son sujet, tourné un documentaire sur Kerouac, Looking for On The Road.
Auteur du très beau Central do Brasil (1998) et de Carnets de voyages (2003) – où nous suivons le périple initiatique du jeune Ernesto Guevara -, Walter Salles est un grand admirateur de Kerouac. Et son film respecte l’oeuvre même si comme nous l’avons noté plus haut, il ne pourra être imprégné de toute la richesse et du rythme de la prose de l’écrivain. Pour ce projet, Salles s’est affublé de comédiens très convaincants dont Garret Hedlund dans le rôle de Dean Moriarty, l’ami déjanté, grand consommateur de femmes et de marijuana. Il y a aussi Marylou, la petite amie de Dean (Kristen Stewart) et le plutôt réservé Sal, sous les traits de Sam Riley, parfait dans le rôle de l’écrivain, en retrait et observateur.
Aucune trame linéaire d’un road-movie classique ne pouvait convenir à ce film-là car le livre ne connaît pas de continuité, précisément. Ce sont allers-retours incessants Côte Est/Côte Ouest, entre Denver et New York et un fourmillement d’anecdotes prises sur le vif. Il n’y a pas d’ordre, de chronologie. Et cette désorganisation du récit devait être traduite – un minimum à l’écran. Salles y parvient comme il peut. La route est filmée dans de somptueux paysages, comme un ruban sans fin, allusion répétée au rouleau de 30 mètres sur lequel Kerouac écrivit son épopée – fiévreusement, à l’aide de benzédrine. La drogue justement, fondamentale dans le récit de Kerouac, tient aussi une place prépondérante dans le film. C’est la grande défonce et une liberté sexuelle avant la lettre dans cette Amérique puritaine d’après-guerre. Mais le sexe, la drogue, la vitesse, sujets abondamment développés par Salles ne sont que les moyens utilisés pour rendre visible le long, immense et raisonné dérèglement des sens rimbaldiens que Kerouac a fait sien. Ainsi, au-delà de la fête dionysiaque des routards parfaitement relatée par Salles, c’est toute la quête poétique et spirituelle de l’écrivain qui n’est pas tout à fait retranscrite dans le film.
Et puis il y a le jazz, notion fondamentale pour la Beat Generation puisque le Beat, ce sont les battements du cœur qui accompagnent cette musique enivrante. C’est aussi la cadence frénétique des pages dactylographiées de Sur la route. Même si le Bop émaille la bande-son de temps à autre, Walter Salles aurait dû pour être parfait noyer son film sous un déluge de solos de Charlie Parker !