Star Wars – Le Réveil de la Force

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Marketé très en amont, jusque dans la mise en scène des réticences de ceux qui l’attendaient au tournant, ce Star Wars s’avère au final très agréable. Atteindre ce but était son seul projet : c’est logiquement sa seule caractéristique.

La défense Chewbacca

Comme peut l’être une O.P.A., un phénomène climatique ou l’ouverture d’un parc d’attractions, la sortie de Star Wars – Le Réveil de la Force est un non-événement critique : quoi qu’on en dise dans les journaux, sur les ondes ou sur les toits, on n’en changera ni le destin ni les finalités. L’investissement est remboursé avant même que quiconque ait pu en dire quoi que ce soit, la moitié de la planète a déjà docilement payé sa place. C’est une caravane qui passe d’autant plus aisément qu’elle est précédée d’un appareil promotionnel performant. Et la sphère médiatique de relayer gaiement la nouvelle d’un nouveau record battu, encore et encore. Il était donc curieux que le plan média colossal, savamment mais massivement mis en place autour du film depuis des années, se termine avec une petite stratégie paranoïaque vis-à-vis de la presse.

On ne s’étendra pas sur l’affaire, déjà abondamment traitée ailleurs, du blocus de projections en amont de la sortie du film : la pratique se généralise de ces films sortant avec des projections-presse assorties d’embargo critique avant une certaine date. Là où Disney se distingue (bravo les copains), c’est en interdisant contractuellement aux quelques organes invités à une avant-première de dire quoi que soit sortant du plan-média dithyrambique prévu. Officiellement pour éviter les spoilers, réellement pour museler une critique qui pourrait se sentir flattée de faire aussi peur. Si la pratique est très très limite, elle présente un petit avantage pour le film qui nous occupe et n’avait pas besoin de tant de précautions : la carrière toute tracée du film permet de ne pas se limiter à distribuer blâmes et satisfécits, et aucun contrat n’oblige le rhéteur à ne pas décrire le film vu en salle. Reste donc l’analyse.

Alors, Star Wars. Si l’on veut parler de méta-phénomène, protéiforme, paradoxal, tentaculaire, élusif pour l’analyse, en voilà un qui se pose là, tant dans ses dynamiques culturelles que de production. C’est de fait un monument intéressant à explorer en commençant par l’hypogée. Depuis 1977 et même avant, Star Wars est l’objet de tous les hiatus. Hiatus critique, hiatus entre le public et les « geeks », et surtout rapport ambigu de George Lucas à sa création. C’est que Star Wars ne l’intéressait pas tant que ça, George : frustré d’être résumé à son plus grand succès, il n’a jamais vraiment compris la nature cosmogonique de la bombe qu’il avait lâchée en 77. Et cet aspect est bel et bien structurel à l’objet Star Wars, si on veut bien se souvenir de l’inénarrable show télé Au temps de la Guerre des Etoiles… datant de 1978. De son propre aveu envisagé comme un simple exercice (exercice du monomythe et défi logistique) par l’intéressé, devenu phénomène commercial sans précédent, l’univers et sa peinture devait au moins autant à des tierces personnes qu’à lui… Ralph McQuarrie, Marcia Lucas, Gary Kurtz, etc. : Lucas, résigné à construire un empire sur cette pierre plutôt que d’autres qui lui plaisaient davantage (l’architecture, l’ingénierie, le film d’auteur – il produira par exemple le Ran de Kurosawa (1985)), n’aura de cesse que d’écarter ceux qui pouvaient altérer selon lui sa vision d’origine, à savoir refaire les Flash Gordon de son enfance, en faisant mieux que lui sur son propre terrain. Il est bon de rappeler à ce propos que le succès artistique de The Empire Strikes Back, célébré comme le point d’orgue de la saga, est précisément dû au fait que Lucas, déjà en délicatesse avec sa propre création, avait laissé les coudées franches à Lawrence Kasdan et Irwin Kershner, ne posant que quelques grandes lignes scénaristiques.

L’histoire de Return of the Jedi fut bien différente, car le succès du second opus lui avait démontré l’ampleur du phénomène Star Wars, à défaut de comprendre sa nature culturelle : il est paradoxal, et sans doute frustrant pour l’intéressé, qu’une part substantielle de la renommée de sa saga soit le fait d’autres, et au moins partiellement pour des éléments indépendants de sa propre volonté (*)…

Aux yeux du monde, les enjeux se cristallisèrent à l’occasion de la « prélogie », saccage monumental par son instigateur d’un univers qui lui avait échappé. Pour les fans, les tripatouillages des éditions « spéciales » avaient déjà montré le problème de cet homme tabassant sa création à coups de bistouri lénificateur (HAN SHOT FIRST !). Cependant, c’est bien le succès public de ces éditions iniques qui encouragea Lucas dans un élan mégalomane de mainmise sur l’univers Star Wars, au mépris des ajouts de légions de professionnels (dans la BD, le jeu vidéo, le roman, le jeu de rôles) dont le seul tort semblait être de ne pas être George Lucas lui-même. C’est ainsi que d’éditions charcutées en « prélogie » insultante, de Jar-Jar Binks en rétention des anciens montages de la trilogie originale, le bonhomme passa de Dieu à Mammon aux yeux de tous sous l’impulsion des geeks.

L’histoire des religions organisées le montre bien : les gardiens du Temple en deviennent vite les potentats exclusifs et jaloux. Les fans de Star Wars, qu’on n’assimilait pas encore au système commercial de masse en les qualifiant de « geeks », ont de fait confisqué dans une certaine mesure un univers destiné au grand public, comme ils l’avaient fait auparavant avec le comic book par exemple (depuis revenu dans le giron du mass media, Marvel s’étant elle aussi promptement Disney-isée au cinéma). EUX savaient que le monde se fourvoyait à révérer George Lucas à coups de millions d’entrées (tout en participant eux-mêmes, massivement, à la débauche mercantile autour de chaque film et produit dérivé qui sortait, et continuaient à camper devant les cinémas sapés en stormtroopers). Le discours des geeks, qui à la même période prenaient un certain poids à Hollywood (Smith, Pegg, Del Toro , Raimi, Jackson… Mais aussi les Parker et Stone de South Park, très ouvertement critiques de la méthode Lucas), fut massivement relayé et fit florès dans les sphères des cultures de l’imaginaire, jusqu’à déborder sur le grand public. Public qui admit plus ou moins généralement l’image d’Epinal d’un George Lucas masturbateur, capricieux, méprisant de son public, retiré dans sa tour d’ivoire du Skywalker Ranch, jouant avec ses figurines Kenner pendant que son univers mourrait sous ses coups de boutoir.

Lucas, de son côté, répondait non sans malice dans ses interviews que les fans ne comprenaient rien, que la trilogie d’origine était constituée de films pour enfants (mais s’éclatait à mettre en place des intrigues politico-financières confuses et des massacres d’enfants dans ses épisodes 1 à 3), et d’ailleurs « Qui n’aime pas Jar-Jar? » (sic!). Par esprit de provocation sans doute, par goût excessif du contrôle sûrement, il truffe ainsi sa prélogie, qui est de loin l’occurrence émanant le plus de sa seule volonté propre, de détails purement vexatoires pour le noyau dur des fans (par exemple tel plan de wookies imitant Tarzan, cri à l’appui…), méprisant ses enjeux mythologiques quand il ne donne pas dans le contresens pur et simple : ainsi de la désacralisation des sabres laser qu’on perd, casse et s’échange tous les deux jours, ou de la faute grave consistant à trivialiser la nature de la Force EN L’EXPLIQUANT par un argument fumeux de physique-chimie… Quand le bougre n’avoue pas carrément n’avoir aucune idée de la manière dont des points-clés de son univers sont censés fonctionner (cf. l’anecdote racontée par Gendy Tartakovski sur le baptême Jedi dans la première série animée Clone Wars : « J’ai demandé à George comment devait se dérouler l’adoubement des Padawans pour en faire des Jedi, il m’a dit ne pas le savoir« )…

 

Ce divorce inévitable une fois consommé, mais avec un public de plus en plus prompt à se rouler dans la nostalgie culturalo-commerciale (racheter des leggings fluo, des albums de Madonna, ou des reboots de remakes d’adaptations ciné de lignes de jouets : même combat, mêmes moutons, mêmes cornacs cyniques), la suite était tracée. C’est le départ d’un Lucas manifestement dégouté de ses rapport avec son public et « sa » saga, envers lesquels il n’avait pourtant pas fait l’effort d’entendement minimal qu’il lui devait. 10 ans et une série d’animation en CGI plus tard (un autre enjeu thématique qu’il serait trop long de détailler ici), la vente à Disney et la mise en chantier d’une flottille de films sur 15 ans se mettent en place, sur le principe des calendriers Marvel et DC. L’histoire des passations de pouvoirs chez LucasFilm et Disney et des circonvolutions pour mener à bien le deal et le greenlighting de la nouvelle trilogie est passionnant en soi et rappelle les grandes batailles de l’âge d’argent d’Holywood, mais ce feuilleton est déjà très bien raconté dans pas mal d’organes de presse. On se contentera d’évoquer, en forme d’épilogue, la « bénédiction » glaciale qu’a consentie George Lucas en donnant son avis sur le film que nous avons aujourd’hui sous les yeux : « Je crois que les fans vont adorer. C’est tout à fait le film qu’ils attendent« . Si l’avis est motivé par le ressentiment, il n’en pose pas moins le problème crucial de cet épisode VII

Le film qui sort en 2015 est à la fois le pur produit des événements relatés plus haut, leur continuation logique, et envisagé comme une clôture de ceux-ci. En ce sens, paradoxalement, ce qui le rend un peu décevant est précisément qu’il n’est pas décevant. Pourtant la gageure était réelle. Car pour revenir aux hiatus qui caractérisent le tissu même des Star Wars, celui de cet épisode VII est bel et bien ce funambulisme auquel il est contraint entre déférence et actualisation, réassurance et perspective. Cet équilibre n’est bien entendu pas réalisé, car le but même de ce premier film d’une nouvelle et longue série est de montrer patte blanche afin que public et investisseurs (4 milliards tout de même pour le rachat de LucasFilm) couvent les films suivants avec toute la bienveillance possible. Il s’agit à ce titre moins de cinéma que de benchmarking. Toutefois, il serait réducteur de fustiger le film à cette seule aune : autant reprocher à un grille-pain de ne pas produire de glaçons, il n’a pas été fabriqué pour ça. De même il faut garder à l’esprit que dans le cluster qui se reforme autour de Star Wars, les avatars cinématographiques de la saga n’en constituent qu’une des occurrences, et peut-être même pas la plus importante ; cependant, balayer l’ensemble du phénomène sous l’épithète de pompe à fric serait aussi erroné. Pendant presque 40 ans, toutes sortes d’exécutifs (dont Lucas lui-même) ont tenté de réduire au pur commerce un système mythologique qui est plus large que la somme de ses parties, et représente aux yeux de ses admirateurs beaucoup plus que des BB-8 radiocommandés.

 

Ni logo Disney ni logo Bad Robot avant le déroulant d’introduction, seul trône celui de LucasFilm. C’est le premier des nombreux appels du pied que fait le métrage au public et surtout aux fans : Nous sommes respectueux de vos souvenirs d’enfance. Et il faut reconnaitre qu’Abrams, qui ne bitait absolument rien à Star Trek (2009), est manifestement bien plus à l’aise avec l’univers de Star Wars qui a bien plus à voir avec la fantasy qu’avec la science-fiction, dans la mesure où la prospective en est absente : on est toujours dans un monde connu, vaisseaux spatiaux et droïdes n’étant qu’une surcouche de folklore technologique appliquée dessus. La construction en serial, propre à la trilogie originale, sied aussi au tempérament du bonhomme, qui peine à envisager ses récits sur un autre mode que celui de la série à épisodes. Un récit qui reprend à la lettre la plupart des éléments-clé de la trilogie originale, ou plutôt, à nouveau, les motifs saillants tels qu’on s’en souvient : intrigues filiales, Cantina, une nouvelle Etoile Noire pour un nouvel Empire galactique, des droïdes renfermant des cartes…

Et tandis que les lieux émulent ceux vus jadis  (Jakku en nouvelle Tatooine, Coruscant en nouvelle Alderaan, la station Starkiller et son climat à la Hoth), les personnages ne sont typés que selon les canons jadis posés : un empereur holographique, un Vader impétueux, une Yoda orange, une nouvelle trinité Leïa/Han/Luke à laquelle la première passe le relais, une capitaine qui ressemble beaucoup à Bobba Fett, un Ténardier du  désert qui mixe Jabba et Wato, et un acteur du répertoire pour faire bonne mesure (Max Von Sydow remplace Alec Guiness). De même des révélations et événements disruptifs, dont aucun n’est neuf ni franchement surprenant : oui, un droïde est égaré dans le désert et opportunément recueilli par le protagoniste, caché là dans son enfance. Oui, un personnage majeur meurt et c’était « ton père ». Oui, le Millenium Falcon sert à des manœuvres évasives ET à une incursion dans un vaisseau impérial. Oui, la station de mort de l’espace possède une longue tranchée et un seul point faible. Mille fois oui, toutes sortes de petites citations jouent le fan service avec une énergie telle qu’elle en deviendrait suspecte. Oui, il y a des raccords en volet et on entend même au moins un Wilhelm scream. Un exemple : dans le Falcon, le jeu d’échecs holographique se voit brièvement allumé. Cette poignée d’images du holochess a été refaite en stop motion par Phil Tippett lui-même, exactement à l’identique de l’originale…

Là où LucasFilm et ILM posaient de nouveaux standards à chaque nouveau Star Wars par le passé, il semble ainsi que ce film met un point d’honneur à enclencher la marche arrière en signe de déférence. Certaines des décisions qui en découlent sont excellentes. En particulier le choix, a priori dispendieux, d’utiliser autant que possible des décors et des effets physiques, en opposition ontologique avec la fameuse prélogie et ses pauvres acteurs désœuvrés, perdus devant des kilomètres de fonds verts. Paradoxalement d’ailleurs, ce choix du tangible crée un contraste négatif sur les quelques créations numériques qui restent : Maz Kanata et surtout Snoke, objectivement loupés de la conception à la texture, et qui confirment par contraste que le prochain pallier de réalisme en termes de créatures numériques reste à atteindre. Surtout, on se demande l’intérêt de recourir au numérique pour des designs de personnages aussi humanoïdes et convenus, dans un univers où d’innombrables créatures exubérantes remplissent chaque coin du cadre de leur splendeur caoutchoutée. La séquence d’attaque des grosses bestioles en plein affrontement de contrebandiers (avec le caméo le plus amusant du film : Yayan Ruhian et Iko Uwais !), outre qu’elle recycle aussi un morceau de bravoure de Empire Strikes Back (les mynoks), est elle aussi handicapée par un numérique pas forcément heureux, qui frôle même le hors sujet dans un spectacle qui revendique sa patine à l’ancienne. Car la direction artistique, loin du clinquant artificiel de la prélogie honnie, fait preuve d’un goût très sûr, toujours crédible et incarné, jusqu’à un BB-8 fonctionnel sur le plateau… Outre les concessions à la nostalgie (qui avouons-le font leur effet), l’univers est admirablement dépeint, y compris dans les séquences « transgressives » qui nous donnent à voir la manière dont les choses se passent dans le cockpit d’un TIE fighter par exemple.

De même, l’arrivée de Lawrence Kasdan au script se ressent clairement sur la qualité de l’écriture, même si on s’interroge sur la façon dont celui-ci n’a pas tiré les thématiques vers la gloire du passé au détriment de pistes plus inédites. Il se murmure que l’éviction de Arnt aurait été motivée par le fait qu’il privilégiait les nouveaux personnages aux anciens… Est-ce à lui ou à Kasdan qu’on doit cette évolution de la thématique guerrière dans le film, peut-être la seule nouveauté du métrage ? Là où la première trilogie montrait une version fantasmée de l’Amérique de la seconde guerre mondiale (l’axe du bien, l’axe du mal), et la prélogie une réflexion mal dégrossie de la montée des fascismes (une prise de pouvoir se faisant uniquement sur la démagogie ? Réducteur, non ?), cet épisode VII démarre sur la désertion de Finn suite au massacre d’un village : l’amorce d’une réflexion sur l’Amérique post-Vietnam, avec à l’horizon la multipolarisation des conflits ? Le fait que les troopers soient désormais soumis à une forme extrême de conscription, et que le système d’espionnage soit plus tard montré comme allant de soi (la notion d’informations sensibles et donc monnayables est une fois de plus au centre du récit), tendrait à confirmer ce point, avec l’espoir de voir un jour de vrais pouvoirs alternatifs s’activer dans les conflits à venir (Les Hutt ? Kamino ? Les ligues de commerce ?), et pourquoi pas des jedi gris (c’est-à-dire hors de la bigoterie des côtés lumineux et obscur, seuls montrés jusqu’à maintenant).

Néanmoins, la patte de Kasdan a tout son intérêt sur la caractérisation, notamment en ce qui concerne les personnages originaux, au ton très proche de celui abandonné après 1983 : loin du sérieux compassé mâtiné d’éclairs comiques infantiles de la prélogie, les quelques échanges entre Solo et Leïa étant à la fois naturels et consistants… Quand les dialogues ne sacrifient pas à la  logique assez irritante du « un cliffhanger et un twist par bobine ». Que d’effets d’annonce et de pseudo-non-dits de bac à sable, tout ça pour faire du name-dropping à la fin ! On se croirait parfois dans les plus faibles épisodes de Buffy… Car bon, nous sommes tout de même devant un film de J.J. Abrams, avec tous les tics de showrunner du bonhomme, qui faisaient déjà « merveille » sur Star Trek Travelings circulaires sur des personnages assis devant des écrans, vue interne de l’hyperespace (pourquoi, J.J.? A quoi ça sert ?), caméo de personnalités télévisuelles, et surtout un rythme séquentiel affreusement étal : là où le rythme exemplaire d’Empire... ménageait toutes les intensités sur une échelle de 1 à 10, avec des relâchements, des respirations ET de l’épisme échevelé, The Force Awakens garde constamment ses potards à 7 que ce soit dans une séquence de dogfight ou un dialogue sursignifiant, et cela se ressent aussi dans la partition de John Williams qui se réduit à un bruit de fond orchestral. L’effet est dévastateur pour le tragique : la mort d’Untel ou la destruction de tout un système solaire (qui sonne comme un règlement de comptes définitif, mais mesquin, avec la prélogie) passent comme un pet sur un toile cirée, sans qu’on n’en ait un steak à battre.

 

Dommage que ce montage séquentiel atténue par ailleurs un découpage souvent inspiré au sein des divers moments-clés du film, tout en accentuant les quelques raccourcis pris par désir de remplir jusqu’à la gueule les deux heures douze de ce que Abrams envisage comme un pilote de série. Et plus que les dei ex machina gênants (le retour de Poe, le réveil de R2-D2) voués sans doute à être expliqués dans d’autres films, ou la sous-exploitation de personnages tels que Phasma ou Maz Kanata, c’est vraiment ce sentiment d’une grandiloquence de façade vouée à camoufler une retenue scénaristique qui s’avère dommageable. Il n’est pas surprenant que le film soit formidable sur ses 40 premières minutes (c’est enlevé, malin, empathique), puis qu’il parte en eau de boudin quand les concessions à la nostalgie s’enchainent (persos historiques, fan service, distillation excessive d’éléments).  Le bât blesse justement lorsque de bonnes idées ou des éléments bien vus (l’interprétation notamment, avec un Oscar Isaac surprenant et une Daisy Ridley qui devient immédiatement le nerd crush des 10 prochaines années) se voient sacrifiés sur l’autel de la narration de série télé, au point d’annuler l’iconisation dont a cruellement besoin le récit. Pourquoi diable montrer le visage de Kylo Ren (à part pour lancer une rumeur sur le fait qu’il serait le fils caché de Roger Waters ?) si ce n’est pour sacrifier à un tic de série d’aventure pour ados ? De même, il y a un vrai souci de désacralisation avec l’utilisation faite dans le récit du sabre laser de Luke, présenté brièvement comme une relique puis utilisé à tort et à travers et même contre un tonfa électrique…

Au final, un métrage qui laisse bel et bien une impression très mitigée : ça devait être incroyable, et c’est seulement sympathique. Pour ne pas céder à la colère ou aux jugements hâtifs (la colère mène au Côté Obscur et à caster Hayden Christensen, ne l’oublions pas), on se souviendra que ce film est au sens strict un reboot, un passage de relai. Beaucoup de plans appuient ce voeu, où l’on voit un nouveau personnage dans le même cadre qu’un ancien. Le but est de montrer patte blanche aux fans, de se défaire ostensiblement de certains héritages embarrassants pour relancer une série de récits affranchis des errements du passé. On peut certes être déçus du film bancal qui nous arrive pour le moment – on peut aussi attendre avec d’autant plus d’intérêt ceux qui vont suivre, en particulier le tout prochain Rogue One. C’est ainsi: ce film n’existe pas pour lui-même mais pour d’autres objets à venir, et pour eux, il écarte surtout George Lucas. Or, on aurait beau jeu de ne pas reconnaître la cohérence avec le fait Star Wars tourne autour d’un pivot symbolique qui est aussi un de ses ressorts scénaristiques les plus fameux : tuer le père.

Autrement dit, Star Wars – The Force Awakens s’enlise dans son propres succès, s’abime dans son désir de faire plaisir, précisément parce qu’il y parvient. En substance, c’est presque d’ailleurs tout ce qu’on peut dire du dernier J.J. Abrams : il tient (la plupart de) ses promesses. Il ne tient que celles-ci, et le fait même qu’elles soient tenues est le point nodal du problème que pose le film : ces promesses étaient toutes des promesses de confort. La question n’est pas celle du film, de sa facture, ou du cynisme réel ou fantasmé de ses instigateurs. Elle n’est rien moins que celle de notre exigence en tant que spectateurs. Ceci dit, il n’y a rien de condamnable à simplement jouir de l’agrément et de la légèreté que procure un spectacle. N’avions-nous tout simplement pas tort de vouloir être excités par un calmant ?

*Voir par exemple la première idée d’apparence de Yoda, avant qu’Irwin Kershner et surtout Frank Oz le fassent évoluer vers le design asiatisant qu’on connait : Lucas voulait un grand patriarche barbu et musclé. Notons aussi que l’idée des phrases inversées à la japonaise du maître Jedi, soit l’un des traits les plus caractéristiques la saga, viendrait également de Frank Oz lui-même.

Titre original : Star Wars: Episode VII - The Force Awakens

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Durée : 135 mn


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