Sous les toits de Paris (1930)

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Une première incursion très singulière de René Clair dans le cinéma parlant.

Depuis les hauteurs de Paris, un long travelling accompagne notre regard vers la rue. C’est l’effervescence dans ce quartier populaire de la capitale : les gens se bousculent et – miracle – ils chantent. À travers cette chanson, René Clair fait ses premiers pas dans le cinéma parlant. Albert (Albert Préjean), le personnage principal, est chanteur, et c’est lui que nous suivrons, de sa rencontre avec la jeune Pola (Pola Illéry) jusqu’à leur éloignement. 

René Clair aurait dit : « Ce qui est cinéma, c’est ce qui ne peut être raconté, mais allez donc faire comprendre cela à des gens déformés par trente siècles de bavardages. » C’est vrai, dans Sous les toits de Paris, on ne bavarde pas, ou très peu. Si le parlant est une formidable invention, le dialogue reste fastidieux (les prises de son directes exigent encore l’immobilité de la caméra) et doit se faire une place dans l’œuvre du cinéaste. De fait, le film n’est que partiellement parlant et de nombreuses séquences restent muettes, uniquement portées par le geste et la musique. Après tout, pourquoi se perdre en longs discours quand un plan sur les pas indécis d’Albert et de Pola, incarne l’hésitation amoureuse avec une si belle poésie ? Choix artistique autant que contrainte technique, le film reste très visuel et ses dialogues parcimonieux ne constituent jamais un moyen commode de faire avancer l’histoire. Le chant, premier langage mis en scène, pose même un certain nombre de problèmes aux personnages. Maladie contagieuse, la chanson de la rue reste dans les têtes et de retour chez soi, chacun y va de sa petite complainte. Sous les toits, tout le monde chante et cet homme, exaspéré par le bruit de ses voisins, doit être bien nostalgique : au moins dans un film muet, il aurait eu la paix.

Il est aisé de voir là une métaphore des limites du cinéma parlant. Pourtant la démarche du cinéaste, plus qu’une simple réaction vis à vis du parlant (argument de Georges Sadoul dans son Histoire du cinéma mondial, des origines à nos jours ) est une véritable interrogation sur les possibilités qu’il offre. Au-delà de l’alternance entre muet et parlant (on remarque les coupures dues au changement de caméra), le cinéaste cherche sans arrêt à mettre en scène la parole, à lui donner une attache visuelle afin de faire cohabiter ces « deux cinémas ». Il effectue notamment un gros travail sur la musique, qu’il tente d’amener de la manière la plus naturelle qui soit : elle est scandée par un chanteur de rue, elle rythme les pas des danseurs dans les scènes de bal, ou est diffusée par un tourne-disque. René Clair semble mettre le son au défi, il le malmène, le jauge, pour en tirer la substantifique moelle qui apportera quelque chose de nouveau à son cinéma. Au sein d’une même séquence, il peut ainsi jouer sur le dialogue et sur le biais par lequel il nous parvient – ou non. Les voix deviennent brusquement inaudibles pour le spectateur dès lors que les personnages se murmurent à l’oreille ou qu’ils se trouvent séparés de nous par un élément du décor. La parole ne s’oppose pas au visuel, elle le complète et le façonne, donnant parfois à voir plus qu’elle ne donne à entendre.
 

Sous les toits de Paris serait donc un simple exercice de style ? Pas vraiment. Si on sent que le cinéaste expérimente, il le fait toujours dans le sens de la dramaturgie du film. Paradoxalement, René Clair donne l’impression de vouloir plier la technique aux exigences de son cinéma, et non l’inverse. Alors que l’intrigue est d’une grande simplicité (une femme convoitée par trois hommes), que le décor peut paraître superficiel (le quartier de Paris est entièrement reconstruit en studio), la singularité du film nous séduit, autant qu’elle donne vie à l’histoire. Si la relation d’amitié unissant Albert et Louis est relativement peu exploitée, le charme des scènes hybrides que nous avons évoqué permet à Pola de dépasser son rôle très convenu de midinette pour exister à l’écran. Parti d’un postulat très maigre, le film parvient à s’étoffer et même à étonner, prenant une tournure assez dramatique dans sa dernière partie. Drôle et touchante, la séquence finale dans le bar en est le point d’orgue. L’humour s’efface peu à peu, laissant place à la désillusion, et c’est sur la musique saccadée d’un 45 tours rayé qu’Albert doit se résoudre à laisser partir Pola au bras de Louis. Séquence touchante dont Albert se remettra, cette histoire il la connaît bien, il la chante tous les jours dans la rue :

"Sous les toits de Paris
Tu vois ma p’tit’ Nini
On peut vivre heureux et bien uni
Nous somm’s seul’s ici-bas
On n’s’en aperçoit pas
On s’rapproche un peu plus et voilà !"

Titre original : Sous les toits de Paris

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Durée : 80 mn


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