Selma

Article écrit par

Classique et sans grande inventivité, « Selma » parvient à toucher grâce à l’interprétation de ses acteurs et à son absence de pathos.

« Tonight we honor Hollywood’s best and whitest…sorry brightest ». Sur la scène des Oscars, Neil Patrick Harris fait référence au tollé déclenché à Hollywood par l’absence d’actrices et d’acteurs noirs sur la liste des nominés. Un oubli d’autant plus flagrant, et frappant, qu’il tombe l’année même de la sortie en salles de Selma, premier long métrage consacré à la lutte de Martin Luther King Jr. et des Noirs Américains pour l’obtention des droits civiques. Nominé dans la catégorie Meilleure chanson originale (Glory) et Meilleur Film, nombreux sont les médias américains à qualifier Selma de grand oublié des Oscars 2015.

Leur étonnement est d’autant plus compréhensible que le film a tout d’une machine à engranger les statuettes : à la production, Oprah Winfrey et Plan B (la société de Brad Pitt), dans le rôle principal David Oyelowo dans un rôle de composition, le tout au service d’un sujet historique aux résonances contemporaines (Ferguson) ; la place des noirs dans la nation américaine. En somme, nous nous attendons à une sorte de rendez-vous arrangé entre Le Majordome (Lee Daniel, 2013) et Twelve years a slave (Steve McQueen, 2013). En espérant que tous les deux aient posé un lapin à La Couleur des Sentiments (Tate Taylor, 2011).

 

Une grosse machine, pilotée par une réalisatrice vierge de tout film à gros budget, qui laisse redouter le film panthéon où Martin Luther King Jr se verrait enterré sous les hommages, la déférence, comme momifié dans un biopic sarcophage. On se souvient du poussiéreux J.Edgar (Clint Eastwood, 2011), du gênantLa Dame de Fer (Phyllida Loyd, 2011) mais aussi de l’exercice esthétique hallucinant qu’était Moloch (Alexander Sokurov, 1999) ; le biopic n’est donc pas condamné à être synonyme d’ennui mortel pour peu qu’il refuse l’exhaustivité, qu’il évite l’académisme figé, bref qu’il soit un film avant d’être un genre.

Première bonne nouvelle, Selma ne compile pas les très riches heures du Docteur King comme on compléterait un album Panini. Ava DuVernay se focalise sur l’année 1965, soit deux ans après qu’il a fait un rêve, deux ans après le Civil Right Act. King est prix Nobel de la Paix, les Noirs ont le droit de voter. En théorie. En réalité, peu d’entre eux sont inscrits sur les listes électorales en raison de la taxe à payer et des pièges tendus par les greffiers locaux (des tests de connaissance absurdes par exemple). Le prêcheur américain va alors s’engager dans une nouvelle lutte pour garantir ce droit dans les faits, une lutte qui aboutira à une marche entre les villes de Selma et Montgomery en Alabama, pour que le président Lyndon Johnson signe enfin le Voting Right Act en août 1965.

 

Malgré les contre-plongées sur son héros, malgré la présence ostensible d’une croix derrière lui, malgré les plans le montrant de dos, face à une foule à son écoute (marrant comme les pacifistes et les tyrans sont souvent filmés de la même manière) ; malgré toutes ces grosses ficelles, aucun halo divin n’auréole vraiment Martin Luther King Jr. La réalisatrice ne se concentre pas seulement sur cette figure mythique, présentée comme la partie d’un tout. Selma montre que la lutte pour le droit de vote a été, avant tout, un combat collectif mené par des hommes mais aussi des femmes (comme Amalia Boynton ou Diane Nash) qu’Ava DuVernay voulait absolument mettre en avant même si leur présence se cantonne à des seconds rôles.

Sobre (classique?) et digne (légèrement engoncé?), le film n’évite cependant pas certains écueils. Si le découpage fait monter inexorablement la tension dans les scènes de confrontation entre civils et policiers, quand un marcheur tombe, c’est toujours au ralenti, quand il marche c’est souvent aux sons de spirituals, quand il pleure, c’est en gros plan. Et quand il parle, c’est pour délivrer une leçon de vie. Il y a des jeunes qui meurent, des mères en deuil et des vieux très dignes, et il y a aussi de courageuses matriarches. L’ironie serait facile, le cynisme un peu également. Mais non, même les mots qui concluent le film « Glory, Hallelujah ! » ne parviennent pas à nous arracher une moquerie ou un froncement de sourcil. Parce qu’entendre les discours forts et mélodieux de Martin Luther King, voir des gens marcher sans arme, ni haine, ni violence face à des gens qui ont beaucoup de tout ça, c’est émouvant.
Selma n’est pas un grand film, mais il nous fait découvrir un épisode de l’histoire américaine et, mieux encore, parvient à totalement nous désarmer .

Titre original : Selma

Réalisateur :

Acteurs : , , ,

Année :

Genre :

Durée : 128 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

L’Aventure de Madame Muir

L’Aventure de Madame Muir

Merveilleusement servi par des interprètes de premier plan (Gene Tierney, Rex Harrison, George Sanders) sur une musique inoubliable de Bernard Herrmann, L’Aventure de Madame Muir reste un chef d’œuvre inégalé du Septième art, un film d’une intrigante beauté, et une méditation profondément poétique sur le rêve et la réalité, et sur l’inexorable passage du temps.

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…