Après l’éclatant succès de Yojimbo (Le Garde du corps), dont le personnage principal s’appelait Sanjuro, Kurosawa se laisse convaincre de tourner Sanjuro des camélias. A noter que ce n’est pas la première fois que le cinéaste donne suite à l’un de ses films, puisque bien auparavant, Sugata Sanshiro II avait été une séquelle de son tout premier film, La Légende du grand judo.
Sanjuro des camélias n’est pas à proprement parler une simple suite du Garde du corps. Autant Yojimbo était un film viril dédié aux hommes de trente ans, autant Sanjuro des camélias (Sanjuro signifie « qui a trente ans ») est un film plus « féminin », adressant en filigrane un message pacifique. Le ton de Yojimbo était résolument tourné vers l’action, celui de Sanjuro des camélias s’oriente souvent vers le burlesque. Enfin, si Yojimbo évoquait la nécessaire articulation entre action et réflexion, Sanjuro des camélias aborde la question l’initiation. En effet, le film ne se contente pas de reprendre le personnage principal de Yojimbo. Il l’étoffe en lui donnant une dimension supplémentaire, celle de l’initiateur. Sous ses traits de pur divertissement, dans la droite lignée des Sept samouraïs, de La Forteresse cachée ou même du Garde du corps, Sanjuro des camélias nous propose donc une variation intéressante sur le> thème récurrent du cinéma de Kurosawa, la transmission du savoir.
Sanjuro devient le guide de neuf apprentis samouraïs ignorant presque tout des règles élémentaires de la prudence. Il leur montre ainsi comment l’astuce et la réflexion peuvent sortir de situations bien délicates (penser avant d’agir, exactement le principe qui dirigeait le personnage dans Yojimbo). Il leur apprendra également à douter des apparences (le repaire de l’adversaire n’est autre que « la maison aux camélias »), à maîtriser leurs pulsions et leurs affects, et à attendre sereinement le bon moment pour agir. Cependant, l’apprentissage sera long : chaque fois que l’un d’eux décide d’agir par lui-même se déclenche une catastrophe, si bien que Sanjuro est obligé de se démener pour réparer la bêtise !
Mais le maître Sanjuro aura lui aussi quelque chose à apprendre (chez Kurosawa, le jeu de l’initiation se joue souvent à plusieurs étages, comme le montrent des films comme Les Sept samouraïs ou Barberousse). « Etait-il vraiment nécessaire de tuer les gardiens ? », lui demandera la femme du chambellan (alors même que notre héros vient de lui sauver la vie !). « Certes, vous maniez bien l’épée. Les bonnes épées cependant doivent rester dans leur fourreau ». Le reproche touche profondément Sanjuro. Désormais, à chaque fois qu’il se servira de son arme, il sera envahi par un sentiment de culpabilité. Après le duel final contre Muroto, il avouera même, après avoir occis son adversaire : « La noble dame avait raison, les bonnes épées doivent rester dans leur fourreau ». Même les plus grands maîtres doivent apprendre des autres…
Sanjuro ne fait pas aussi forte impression que Yojimbo. Il n’est pas aussi tendu et réflexif. Il traîne également en longueur à certains moments. Mais il réserve tout de même quelques séquences réjouissantes, et a le mérite de participer pleinement à la réflexion que nourrit le cinéaste sur le thème de l’initiation.
Si Kurosawa avait pour les samouraïs une grande admiration, il ne les a jamais idéalisés (pas même, à bien y regarder, dans Les Sept samouraïs). Ainsi, Sanjuro, cette force de la nature, est invité à mettre de côté ses manières musclées et à apprendre à communiquer…avec les fleurs ! Mifune en train de remplir son giron de camélias, quelle singulière image ! Comme le fait remarquer Aldo Tassone dans son livre Akira Kurosawa, le public japonais a probablement été aussi surpris que si les Américains avaient découvert John Wayne en train de pratiquer le jardinage…